Tous les éléments d’une tragédie. Et une tragédie finit forcément mal… 🧹🇨🇱

Dès le départ, le drame est annoncé : une enfant de sept ans est morte. La bonne de la famille est soupçonnée et interrogée. Tout le roman, nous l’écoutons dérouler son quotidien dans cette famille bourgeoise de Santiago. Comment, par ses soins, tout doit être propre dans cette grande et belle maison. Comment Monsieur et Madame doivent être propres grâce à elle. Comment elle doit rester discrète, calme, agréable et efficace en toutes circonstances.

« Je peux commencer lundi, j’ai dit.

Ils ont accepté immédiatement. Ils n’ont même pas demandé mes références. Plus tard j’ai réalisé que dans cette maison tout était urgent, même si je n’ai jamais compris leur hâte, une telle hâte. Si on se dépêche, on gaspille son temps, c’est ce que disait ma mère quand j’étais en retard pour l’école et que je coupais à travers le jardin. On ne peut jamais gagner contre le temps, me prévenait-elle. Cette course est jouée dès le jour de notre naissance. Mais je m’égare… Je vous disais qu’ils étaient toujours débordés et que leur premier bébé était sur le point de naître. »

Derrière toutes ces couches de propreté, la petite fille est malheureuse. Monsieur et Madame ne semblent pas beaucoup plus heureux. Mais les apparences, c’est important. Primordial, même. À l’image de l’uniforme de la bonne, impeccable et identique pour chaque jour de la semaine.

Dans cette narration à la première personne, on sent toute la rancœur qui macère. Les injustices se dévoilent entre les lignes : les castes sociales, les inégalités de revenu, et le mépris qui les accompagne. Le statut de subordination détériore les relations, agit sur l’état d’esprit et l’estime de soi. Sept années durant, la bonne supporte en silence de laver la merde de ses patrons, de récurer leurs sols, de changer les draps dans lesquels ils ont dormi et fait l’amour (s’ils le font encore…). Elle endure les caprices de leur fille malheureuse, cette fille censée être parfaite, qui se défoule sur elle pour évacuer toute cette pression qu’on fait peser sur ses petites épaules. La tragédie a tous les éléments pour se mettre en place durant ces sept années. On sait tous qu’une tragédie finit mal.

« Tout cela, c’est important, ne croyez pas que je cherche à gagner du temps. Faire le lit, aérer, frotter le vomi du tapis. Je vous l’ai dit plus tôt : il faut connaître les bords avant de s’aventurer à l’intérieur. Et savez-vous ce qu’il y a à l’intérieur d’une histoire comme celle-ci ? Des chaussettes noires de crasse, des chemises avec des taches de sang, une enfant malheureuse, une femme qui fait semblant et un homme qui calcule. Qui compte chaque minute, chaque poids, chaque succès. Qui se lève avant l’aube pour pouvoir aller courir, qui se lave les dents tout en donnant des ordres, qui consulte son agenda tout en courant, qui lit le journal tout en mangeant. Le genre de personne qui vit sa vie selon un plan défini et qui sait exactement ce qui va remplir chaque minute, chaque heure. Car les minutes et les heures font aussi partie de ce plan. »

Avec l’unique point de vue de la bonne, on doute cependant : il nous manque d’autres éléments pour comprendre le tableau entier. Peut-on vraiment la croire quand elle affirme que la mort de l’enfant est accidentelle ?

« À ce stade, vous vous demandez certainement pourquoi je suis restée. C’est une bonne question, importante. Tu es triste. Tu es heureuse. Ce genre de choses. Ma réponse est la suivante : et vous, de l’autre côté de ce mur, pourquoi restez-vous dans vos boulots, vos bureaux minuscules, dans les usines, les magasins ?

J’ai toujours cru que je quitterais cette maison, mais la routine est perfide. La répétition des mêmes rituels, ouvrir les yeux, les fermer, mâcher, avaler, se brosser les cheveux, se laver les dents, chaque acte est une tentative pour apprivoiser le temps. Un mois, une semaine, la longueur et la largeur d’une vie. »

Une réponse à « Tous les éléments d’une tragédie. Et une tragédie finit forcément mal… 🧹🇨🇱 »

  1. Je note cette tragédie qui permet d’aborder différents thèmes.

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