Aminata Diallo, fille de Mamadou Diallo le joaillier et Sira Coulibali la sage-femme, a onze ans quand on l’arrache à son village, Bayo, à sa famille, à sa terre. Elle vivra l’enfer : les mois harassants de marche jusqu’à la côte, les chaînes autour du cou et les pieds nus qui saignent, l’entassement insalubre, la traversée sur un bateau mort-vivant à la puanteur insoutenable. À l’arrivée, elle est vendue aux enchères et réduite à l’esclavage dans une plantation d’indigo de Caroline du Sud.
« Je vivais dans la terreur que les ravisseurs nous battent, nous fassent bouillir et nous mangent, mais ils commencèrent par nous humilier : ils nous arrachèrent nos vêtements. Nous n’avions ni foulard ni pièce d’étoffe pour couvrir nos parties intimes. Nous n’avions même pas de sandales. Nous étions aussi nus que des chèvres, et notre nudité nous définissait comme prisonniers où que nous allions. Les ravisseurs étaient également définis par ce qu’il leur manquait : de la lumière dans les yeux. Jamais je n’ai rencontré une personne qui m’ait regardée droit dans les yeux, calmement, tout en se livrant à des atrocités. Poser le regard sur le visage de quelqu’un veut dire deux choses : reconnaître son humanité et affirmer la sienne. Au début de ce périple loin de mon foyer, je découvrais qu’il y avait dans le monde des gens qui ne me connaissaient pas, qui ne m’aimaient pas et pour qui cela n’avait aucune importance que je sois vivante ou morte. »
Mais Aminata est une force de la nature. À peine a-t-elle quitté sa terre qu’elle se promet d’y revenir. Toute sa vie, face à la l’injustice et la barbarie des hommes, elle s’accroche à sa volonté de fer. Rentrer. Retrouver Bayo. Retrouver les siens. Conquérir sa liberté.
Sur sa route, les mains se tendent, et heureusement : elle n’avance pas complètement seule. Chaque étape de sa vie lui réserve des rencontres. Son intelligence interpelle : on lui apprend à lire et à écrire. Grâce au savoir de sa mère, elle devient une sage-femme douée et recherchée. La lecture et l’écriture la rendent encore plus précieuse, et Aminata prend progressivement conscience de sa valeur, s’en sert pour aider les siens.
À chaque nouvelle destination, elle découvre l’entraide et la solidarité des Noirs. La méfiance, elle la comprend : elle-même se montre prudente. Progressivement, elle comprend que Bayo, son village, l’Afrique, sa terre, sont devenus, au fil du temps, un symbole. Si Aminata se bat, c’est en vérité pour la liberté.
« Un cycle complet de la lune s’était écoulé depuis notre départ. Les prisonniers continuaient de mourir au rythme d’un ou deux par jour. On ne portait aucun respect aux morts. Le bruit d’un cadavre tombant dans l’eau m’horrifiait de plus en plus et offensait l’esprit des morts. J’étais d’avis que ce traitement qu’on leur faisait subir était pire que de les tuer. J’écoutais le bruit de la chute dans l’eau, même s’il m’effrayait, mais la chose qui me bouleversait encore plus, c’était de n’entendre aucun bruit. Pour moi, un plongeon silencieux signifiait que le cadavre sombrait dans l’oubli. La nuit, je voyais en rêve des gens tomber des murs d’enceinte de Bayo et disparaître sans avertissement et sans bruit, comme s’ils avaient marché les yeux bandés vers un précipice. »
Lawrence Hill a donné vie à un personnage remarquable. Grâce à la fiction, il nous rappelle l’abomination que représente le commerce d’êtres humains. La fin du XVIIIe et le début du XIXe siècle sont des périodes charnières. Les abolitionnistes se multiplient à Londres et exigent la fin de la traite négrière. Les Américains se rebellent et ne veulent plus des loyalistes sur leur sol. La Sierre Leone devient une colonie pour le retour des Noirs affranchis, à l’image de sa ville Freetown.
Aminata est notre conteuse, notre djéli. Avec elle, on grandit, on souffre, on découvre la complexité de l’âme humaine, on subit ce monde, puis on espère l’influencer. Énorme coup de cœur pour ce roman bouleversant que tous devraient lire.
« – De quel endroit ?
– De votre pays.
– Je croyais que vous l’aviez appelé la Guinée.
– Nous l’appelons de diverses façons. Guinée, Éthiopie, Nigritie, Afrique, tous ces mots veulent dire la même chose.
– Et vous avez nommé votre grosse pièce d’or d’après le mot qui signifie Afrique ?
– Nous l’avons appelée la guinée. Elle vaut vingt et un shillings.
Je restai bouche bée. Les boukras s’emparaient de l’or et des personnes de mon pays, et utilisaient le premier pour acheter et vendre les deuxièmes. »

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