Une suite aussi réussie que le Pays des Autres.

Sans surprise, j’ai été happée par la suite du Pays des Autres. La plume de Leïla Slimani sait me toucher. Elle a une justesse, un phrasé qui peut sembler simple parfois mais qui ne l’est pas. Elle possède le talent de l’économie du bon mot. Couleurs, sensations et odeurs s’ajoutent aux portraits de personnages qu’elle maîtrise.

« Son père le glaçait, le pétrifiait. Il suffisait qu’il sache qu’Amine était là, dans les parages, pour ne plus parvenir à être lui-même. Et, à vrai dire, toute la société lui faisait cet effet. Le monde dans lequel il vivait avait le regard de son père et il lui paraissait impossible d’être libre. Ce monde était plein de pères auxquels il fallait témoigner son respect : Dieu, le roi, les militaires, les héros de l’indépendance et les travailleurs. Toujours, quand quelqu’un vous abordait, au lieu de vous demander votre nom, il s’enquérait : « De qui es-tu le fils ? »

On continue de suivre Amine et Mathilde Belhaj, leur famille, leurs enfants. On traverse les années 1960 et 1970, les années hippies et les années de plomb. Leurs petites histoires se mêlent à la grande Histoire du Maroc, et c’est d’autant plus fort et plus émouvant quand on garde en tête que l’autrice s’est en partie inspirée de sa propre famille pour écrire ces lignes.

« En fin de journée, Aïcha enfilait sa vieille paire de tennis et marchait dans les champs, ses poches remplies de cailloux pour effrayer les chiens errants. Elle arrachait des arbres des oranges à peine mûres dont elle savait exactement, avant même de les sentir, avant même de porter un quartier à ses lèvres, quel goût elles auraient. Elle s’allongeait dans l’herbe et contemplait le ciel dont le bleu lui était souvent revenu en rêve, pendant son exil alsacien. Le ciel, ici, était nu, offert, comme si une main divine avait arraché tout ce qui pourrait le couvrir, l’obscurcir, le faner. Des oiseaux volaient, parfois seuls, parfois en nuée, et, sous le vent, les branches des palmiers et des oliviers se balançaient, éveillant en elle des désirs de tempêtes. »

Je ne suis pas objective ; j’aime tout ce qu’écrit Leïla Slimani. Dévorer ce roman alors que je suis en visite à Casablanca me procure un quelque chose en plus, indéfinissable. Comme si je rendais visite à la famille. Comme si je connaissais, comprenais chacun d’entre eux. Comme si leurs failles, leurs faiblesses, leurs errances, leurs difficultés, m’étaient familières, presque palpables. Mathilde et Amine, Aïcha et Mehdi : quatre personnages inoubliables. Un sublime hommage de l’autrice à ses parents et ses grands-parents, au pays de ses origines.

« Il vit dans la pupille de cette jeune femme, ses propres chagrins futurs, ses gloires, ses hontes, ses trahisons. Il vit, dans son iris, se dérouler toute son existence. Aïcha contenait son avenir comme la lampe trouvée au fond de la caverne contient le corps évanescent d’un génie. S’il lui prenait la main, s’il tournait la paume d’Aïcha vers le ciel, il était sûr de lire sa propre destinée dans ces lignes. »

Une réponse à « Une suite aussi réussie que le Pays des Autres. »

  1. […] Leïla Slimani a illuminé notre séjour au Maroc en février avec la suite de sa saga familiale, Regardez-nous danser (vivement le troisième volet, début 2025 !) 💃🏻 🇲🇦. Gaël Faye m’a émue, comme à […]

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