Le monde que nous connaissons aujourd’hui a basculé et n’est plus. Deux sœurs, Nell et Eva, vivent ce bouleversement depuis chez elles, dans leur maison familiale située près d’une forêt californienne, loin de la vie citadine. De plus en plus coupées du monde, elles doivent apprendre à survivre. Nell, l’aînée, nous raconte leur quotidien en noircissant les pages d’un vieux carnet. Comment toutes deux font face au deuil et à la peur. Comment chacune continue à meubler ses journées, espérant retrouver leur vie d’antan. Comment les souvenirs de leur passé hantent leur présent et leur transition.
« C’est incroyable la rapidité avec laquelle tout le monde s’est adapté à ces changements. J’imagine que c’est comme ça que les gens qui vivent par-delà la forêt s’étaient accoutumés à boire de l’eau en bouteille, à conduire sur des autoroutes bondées et à avoir affaire aux voix automatisées qui répondaient à tous leurs appels. À l’époque, eux aussi ont pesté et se sont plaints, et bientôt se sont habitués, oubliant presque qu’ils avaient un jour vécu autrement. »
Le temps passe, elles sont confrontées à elles-mêmes, encore et encore. Le monde est figé, la nourriture s’épuise, alors elles apprennent à connaître la forêt. Cette forêt, qu’elles côtoient depuis l’enfance avec émerveillement ou appréhension, devient tout autre chose dans leur nouvelle vie naissante.
« Mais j’ignore par où commencer. J’ai étudié la botanique. Je m’y entends en morphologie et physiologie végétales. Je sais comment les plantes poussent et comment elles se reproduisent. Je sais identifier une cellule végétale au microscope, dresser la liste des réactions chimiques qui provoquent la photosynthèse. Mais j’ignore le nom des fleurs que nous avons déposées sur la tombe de notre père. J’ignore le nom des mauvaises herbes que nous arrachons du potager ou même quel type de feuilles nous utilisons en guise de papier toilette.
Je sais reconnaître le sumac vénéneux. Je sais distinguer un sapin d’un séquoia. Mais tous les autres noms – latins ou indiens ou usuels – m’échappent. Je suis même loin de deviner quelle plante est comestible ou à quoi d’autre elle peut servir si elle ne l’est pas. Ce buisson, dis-je, cette fleur ou cette mauvaise herbe. Et comment des buissons ou des fleurs ou des mauvaises herbes peuvent-ils nous nourrir, nous vêtir, nous guérir ?
Comment ai-je pu vivre ici toute ma vie et en savoir si peu ? »
Ce livre est unique et marquant. Il nous pousse à réfléchir notre rapport à la mort, à envisager différemment notre vie sur Terre. Comme le dit Eva si joliment dans le roman : « Pourquoi qui que ce soit voudrait marcher sur l’eau… alors qu’on peut danser sur la terre » (et j’ajouterai, pourquoi qui que ce soit voudrait marcher sur la lune).
La relation entre ces deux sœurs est émouvante, puissante. Pour moi qui ai une petite sœur, je m’imaginais parfois avec elle, dans cette forêt. « Pourquoi es-tu revenue ? J’ai interrogé les profondes ténèbres ardentes de mon être, et la raison a jailli, aussi simple que l’eau. – Parce que tu es ma sœur, idiote ». Certaines évidences nous habitent, et il est inutile de les expliquer à haute voix.

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