C’est un roman furieux, un roman dans lequel les cris de colère bouillonnent au fil des lignes, un roman qui nous explose à la figure, sans fard.
Edith raconte son frère, Kim, et l’horreur innommable qu’elle ne pourra jamais lui pardonner : il a assassiné son fils. Kim a tué son propre neveu. Pourquoi cet acte abominable ?
« Tuer, ce n’est pas très difficile. C’est un geste comme un autre. On égorge chaque jour des millions de bêtes à nourrir des barbecues où personne ne sait distinguer l’agneau du bœuf et la dinde du poulet. Chaque année à Pâques on massacre au couteau sur la plage des hordes de crabes pour le plaisir de suçoter de la sauce colombo coulée dans leur carapace. Et à Noël, qui sait désormais sur quel continent sont morts les porcs qu’on immolait auparavant dans la cour ? Nous sommes des carnivores. Tuer est un geste simple que nous ne pensons plus. C’est l’instant d’après, la terreur. Le silence, étourdissant, quand l’âme s’échappe et vous traverse le corps. Le silence, intense, dans le corps de l’assassin qui renaît à lui-même. Le silence d’un cœur qui ne bat plus, d’un cœur où l’amour en un instant facile est devenu un pays étranger. »
J’ai lu ce roman en deux jours, happée par les mots et le talent narratif de l’autrice. J’en suis ressortie à la fois sidérée et curieuse. Sidérée par tant de rancœur et de violence, par le déferlement de haine que provoque Kim entre ces pages. Curieuse d’en apprendre davantage sur la Martinique, sur l’histoire de cette île, sur ses artistes et ses combats.
L’un des éléments les plus captivants de ce livre, ce sont les souffles des ancêtres, ces paroles que les aïeules glissent à leur descendance, influençant ainsi le monde des vivants. Quel rôle jouent Ayo, Léonide, Sidonie, elles qui ont foulé la terre martiniquaise avant Kim ? Que lui soufflent-elles ?
« Les Souffles racontaient souvent à Édith comment Sidonie couvrait la joue de son papa de baisers en rentrant de l’école. À moi ils me racontent aussi comment les femmes, entre elles, avaient toujours bâti de l’amour, pour s’y construire des citadelles, et c’est ça que je lisais dans les yeux de Marraine quand elle parlait à Maman. Mais Kim, lui, n’en sait rien. Kim ne sait des Souffles que ce qu’il veut bien entendre. Les jours heureux, les papillons, les longues journées à cuisiner et jardiner ensemble ne restent pas gravés dans les chroniques des héros. Alors Kim connaît l’histoire des héros, mais en vérité, Kim ne connaît pas l’Histoire. »
Le passé, le présent et le futur sont inextricables. Sans penser et panser le passé, le présent ne peut se vivre en paix. Pour construire un futur apaisé, il ne suffit pas de recouvrir le passé. Il ne faut surtout pas. Il faut l’affronter. Sinon, déferlera la violence. Et les cœurs battront trop vite…

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