Le Cercle, c’est une entreprise tentaculaire qui révolutionne le marketing. Mae Holland, la vingtaine, intègre l’équipe du service clients grâce à sa meilleure amie. Tout y est parfaitement beau, propre, organisé, pour que les employés puissent travailler dans les meilleures conditions. Les slogans y sont légion. En voici trois, qui vous donneront le ton (et vous rappelleront au passage les slogans de certaines écoles de commerce…). Progrès technologique signifie forcément progrès sociétal ! Derrière chaque employé, il y a un humain ! Les réseaux sociaux sont la réponse à tous nos maux ! Vous aussi, vous sentez le malaise grimper en vous ?
« Quand Josiah et Denise ramenèrent Mae au centre du campus, la lumière déclinait, et des employés installaient des torches en bambou sur la pelouse pour les allumer. Quelques milliers de membres du Cercle commencèrent à se rassembler dans le crépuscule et, debout parmi eux, Mae comprit qu’elle ne voulait plus jamais travailler – ni même se trouver – ailleurs qu’ici. Sa ville natale, le reste de la Californie, voire le reste de l’Amérique lui faisaient l’effet d’un chaos absolu, digne d’un pays en voie de développement.
À l’extérieur de l’enceinte du Cercle, tout n’était que brouhaha et lutte, échec et crasse. Mais ici, tout avait été pensé et optimisé. Les personnes les plus brillantes avaient créé les systèmes les plus performants, et les systèmes les plus performants avaient rapporté de l’argent, en quantité illimitée, ce qui avait permis au spectacle qu’elle avait sous les yeux d’exister. C’était bien l’endroit au monde le plus parfait pour travailler. Et cela allait de soi, songea Mae. Qui d’autre que des utopistes pouvait créer une utopie ? »
Tout le long du roman, nous assistons au lavage de cerveau que Mae va vivre. Je ne compte pas le nombre de fois où j’ai eu envie de la secouer, de lui dire « bon sang, ouvre les yeux ! ». Son évolution est fascinante. Une illustration du côté grégaire de la société humaine. La jeune femme a ses fragilités, et le Cercle sait comment en jouer pour grossir, grossir, grossir, encore et toujours. C’est à se demander si ses fondateurs, qu’on appelle « les trois sages » contrôlent encore leur création…
Le propos est glaçant. Les personnages sont traités avec une finesse psychologique épatante. Il y a tant de similitudes avec notre quotidien. Avec les géants bien connus de la Silicon Valley, dont les revenus mirobolants dépassent le PIB de la moitié de la planète. Avec le monde édulcoré (et insupportable) des conférences TED, des Start-Up « amazing », de la folie exponentielle pour innover toujours plus.
« Josiah leva les yeux en l’air. « Non, je fais une digression, mais le problème avec le papier c’est que ça anéantit tout effort de communication. Ça empêche toute continuité. Tu regardes ta brochure, et ça s’arrête là. Ça s’arrête à toi. Genre tu es la seule qui compte. Mais imagine, si tu documentes ta recherche. Si tu utilises un outil pour t’aider à identifier les espèces d’oiseaux, chacun pourra en profiter. Les naturalistes, les étudiants, les historiens, les garde-côtes. Tout le monde saurait, alors, quels genres d’oiseaux se trouvent dans la baie à tel ou tel moment. Ça m’énerve de penser à la quantité de savoir qui se perd au quotidien quand on manque à ce point d’ouverture d’esprit. Et je ne veux pas dire que c’est égoïste, mais… »
Si. C’était égoïste. Je le sais », avoua Mae. »
Un roman qui nous alerte. Nos libertés et notre libre-arbitre sont en danger depuis des décennies. Nos comportements sont analysés pour être mieux manipulés. Dave Eggers appuie juste un peu, et ça n’a plus grand-chose de dystopique. C’est la réalité qu’on se prend de plein fouet. L’humain est-il encore capable de ralentir ?

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