Je termine Naumod, de mon confrère Lucien aux éditions Forgotten Dreams, et quelle claque de lecture.
« L’existence, c’est sympa mais c’est long. »
Naumod est une île où tout a été parfaitement pensé. De l’arrivée des bébés au Départ, chaque jalon de la vie est le rouage d’une machine bien huilée, rythmée par les gongs. Pas besoin de travailler, les rations alimentaires arrivent d’elles-mêmes dans le frigo des cubes, ces espaces parfaitement fonctionnels et basiques. Ceux qui le souhaitent ont la possibilité de créer leur entreprise pour accumuler un petit revenu supplémentaire, mais pourquoi s’aliéner quand on peut simplement jouir du quotidien ?
On suit Stanislas et sa famille, du cube 203. Je dois avouer qu’il est difficile parfois de savoir quel personnage nous est le plus antipathique, même si Stanislas en tient une sacrée couche, et on adore le détester. Un point que j’ai apprécié dans le roman : écrire des protagonistes auxquels il est difficile de s’attacher, ce n’est pas un exercice facile et une réussite de l’auteur !
Le roman soulève des questionnements, tant sociétaux qu’éthiques, qui rappellent les dystopies classiques telles que 1984 et Le meilleur des mondes. Le mystère a un côté addictif : on a envie de comprendre ce qui se trame vraiment à Naumod. Pourquoi cette île est-elle organisée si parfaitement ? Pourquoi ce côté parfait nous met-il autant mal à l’aise ? Que penser de cet État collectiviste poussé à son paroxysme ?
Les réflexions philosophiques sont également nombreuses. Ce Départ à 50 gongs, qui résonne pour tous, interroge l’absurdité de la vie, la quête de sens au quotidien, et l’existence elle-même. Stanislas le répète souvent : peu importe les richesses, peu importe le cube d’origine, on a tous un début et une fin. On finit par se projeter un peu à la place des protagonistes. Comment réagirait-on, dans une telle société, si notre Départ était annoncé et organisé ? Vaut-il mieux savoir ce qu’il y a après, sans retour en arrière possible, ou mourir bienheureux dans l’ignorance ?
La fin est magistrale. Chaque détail prend sens. Mais un conseil d’ami : ne lisez pas la dernière partie du roman durant votre pause déjeuner.
« C’est étrange ce qu’elle ressent au sujet d’Anissa. Bien qu’elle aime sa présence auprès d’elle et que l’idée de son absence soit difficile à accepter, elle se dit qu’elle aura une personne de moins à gérer et que, finalement, elle n’est pas tant attachée à elle, en tant que personnalité. Elle se surprend à penser ça. Une culpabilité l’encombre et dans le même temps, elle se dit qu’au contraire, c’est sain d’envisager la séparation comme cela, puisque la société est conçue de cette manière. Il serait étrange de s’effondrer en larmes et de se battre pour garder son enfant à la maison. Et quoi ? Anissa finirait seule dans la maison ? Hortense partirait avec Stanislas dans trois gongs et la séparation se ferait quand même. Et Rose aussi devra partir. Le cube sera ensuite affilié à une autre famille. Anissa ne va pas rester sur le canapé à errer là comme un fantôme jusqu’à son départ. Non, c’est idiot. Les choses sont bien faites et si elle n’est pas tant attachée à sa fille, c’est que la Greffe et l’Attribution se déroulent au bon moment : lorsque l’on aime bien l’enfant mais que les liens ne sont pas encore trop viscéraux. Et puis un parent, ça sert surtout au début, lorsqu’il y a des choses à transmettre et à apprendre. Après, ce n’est ni un ami ni un mentor, c’est surtout une raison de se prendre le bec et de se réunir pour faire semblant de se connaître, alors qu’on n’a rien en commun. Elle le sait, elle en a fait l’expérience, elle qui a tenté de revoir ses parents. Elle aurait dû faire confiance à Naumod et effacer les liens lorsqu’on le lui a conseillé. Commencer de zéro quand on a dix-huit gongs, quelle bonne idée. »

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