Ce roman est un hommage à la mère, celle qui donne tout, celle qui mordrait pour sa petite. À travers Véro, on voit combien l’abnégation d’une mère est difficile à vivre. Il y a la différence, l’ingratitude, la possessivité. Il y a le père, les prises à parti qu’il faudrait éviter, on le sait, mais dans les faits, quand on souffre, quand on se sent légitime à partager sa souffrance, comment s’y prendre ?
J’ai aimé que la question des transfuges de classe soit abordée par deux points de vue. Pas uniquement à travers la fille, mais justement à travers Véro. À travers ce que la mère ressent en voyant sa fille s’éloigner : l’impression de la perdre, tout en étant fière de la voir s’élever. Les paradoxes, les complications, les incompréhensions qui s’installent. Qui grossissent jusqu’à rendre la relation difficile, étouffante parfois.
« En traversant, elle se fait siffler trois fois. Deux fois elle ignore, la troisième elle répond par un doigt d’honneur. Puis sa bouche se crispe. Elle secoue le bras et, après avoir encore tracé sur six mètres, elle s’arrête. Ça peut lui prendre à n’importe quel moment. Et cette fois, pas moyen qu’elle se morde la langue. Bouge pas, et elle me plante sur le trottoir, repart en arrière ni une ni deux toquer à la vitre de la voiture lui dire ses quatre vérités, à ce connard qui se prend pour qui d’ailleurs ? Elle a une gosse, et il aimerait, lui, que sa femme se fasse siffler avec sa mioche ? Ah il a pas pensé hein, non, il a juste fait avec sa petite bite à la place de la cervelle. Elle l’enchaîne comme sur un ring. Derrière ça klaxonne parce que le feu est passé au vert, mais elle les emmerde, son majeur levé pour les autres elle approche son visage de la vitre du mec qui ne bronche plus depuis qu’elle a insulté ses ancêtres.
Souvent, j’ai peur pour elle. Peur qu’en face ça ne réponde pas qu’avec la bouche. Sauf qu’elle a quelque chose, semble-t-il, qui les empêche.
Comme une lumière. C’est qu’elle brille, autant qu’elle braille, tous ces gros mots que je m’étais promis de ne jamais faire sortir de ma bouche, qu’elle dit aux siffleurs en voiture mais aussi au banquier, au boucher, et même à la boulangère, si bien qu’ils la craignent, si bien que tous se courbent devant elle dès qu’ils entendent sur le sol ses talons qui claquent. Certains disent, comme pour contrer son pouvoir, qu’elle est vulgaire. Moi, je dirais qu’elle est solaire. Un soleil de canicule, du genre incendiaire.
Ma mère revient vers moi avec en fond les voitures qui repartent et l’eau du port qui scintille derrière elle comme une traîne :
– Bon, tu veux un Coca ? »
La langue de Mathilda di Matteo est radieuse. J’ai beaucoup souri, parfois franchement ri. Mais derrière ce peps, il y a des mots justes, posés sur de nombreuses thématiques intéressantes. Le mépris de classe, souvent porté par Paris sur le reste de la France. La violence qui pèse dans les clichés et les amalgames, ici à Marseille. Et de violence, il en est surtout question avec les hommes. Comment elle s’insinue, comment elle se perpétue. Jusqu’à conduire à l’isolement, la dépression ou le déni.
« La mioche, contre toute attente, est restée accrochée à mon utérus. À croire qu’elle vouait vivre. C’est ce que j’ai pensé, en tout cas. C’est pour ça que je l’ai gardée. Je me suis dit : C’est une battante, ma fille.
Va savoir pourquoi, j’étais sûre que c’en était une. Et je voulais un père pour ma fille, mais pas un violent, car vaut mieux pas de père du tout. Alors je lui ai expliqué. Dans une lettre. Parce qu’elle survivrait pas à deux chutes, mon grain de riz.
Le surlendemain, le Napolitain était à la capitale, avec dans les bras un clown énorme et une barquette de fraises :
– Pour le petit, et pour toi.
Alors je lui ai fait écrire sa lettre à lui. Un contrat. Une interdiction formelle de me toucher moi ou notre fille.
– Comment ça une fille, qu’est-ce que t’y en sais ?
Il avait cette obsession, qui lui venait de son père, d’avoir un fils. Pour le nom. Perpétuer la lignée. Les hommes et leur connerie.
– C’est pas la question. Tu m’entends, Jo ? Rien, même pas une fessée. »
La sororité première, c’est celle d’une mère avec sa fille. Mère et fille malgré tout. Mère et fille face à tout. Gravitent autour d’autres alliées. Comme les copines cagoles de Véro, qui derrière leur force de caractère cachent trop souvent des traumatismes. Car victime de violence, on l’est plus facilement qu’on ne le croit. Malheureusement.

Laisser un commentaire