Rentrée littéraire 2025 (2) : La douceur du sucre, le peps de la menthe fraîche, l’amertume du thé vert.

Voilà un livre qui se savoure. J’en ai picoré certaines pages, en ai englouties d’autres avec un appétit vorace. Il faut le lire comme on boirait le thé au côté de son autrice, car Katia Belkhodja est très talentueuse, et à la fin, on en veut encore. Sa plume a la douceur du sucre, le peps de la menthe fraîche, l’amertume du thé vert.

En dégustant les pages, on accepte de se perdre dans les méandres des souvenirs des filles Belhadj. Leurs souvenirs d’enfance. Leurs souvenirs d’errances. On se laisse emporter par Rym la conteuse. Elle nous embarque pour un voyage littéraire singulier, où il est question de liens – femmes, mères, filles, cousines, sœurs, tantes, grands-mères –, d’odeurs, de cuisines, d’astronomie, de sciences dures et de sciences occultes. Et bien sûr, il est question d’identité.

« Enchantée, Sylvie. Oui, je ne parle que français, je baragouine l’arabe, c’est gênant. Ma mère est kabyle en fait, donc la langue commune entre mon père arabophone et ma mère était le français… Non, non, ce n’est pas si rare, c’est le cas de mes cousines aussi, par exemple, leur papa vient de Tlemcen et ma tante d’un village pas trop loin de Tizi Ouzou… Non, mon père à moi ne me l’a pas appris, il était malade, je ne l’ai que très peu connu, je me rappelle à peine en fait… C’est un peu mon oncle qui m’a élevée… Oui, le mari de ma tante… La sœur de ma mère… Oui c’est vrai qu’on est des familles tissées serrées, les Arabes, même si on est à moitié Kabyles là… C’est presque pareil mais pas vraiment non plus… Parce que les Kabyles sont issus des populations berbères du Maghreb, qui étaient avant les Phéniciens, ce sont les Berbères qui peuplent les montagnes du Djurdjura et ses alentours. Le Djurdjura. Au nord-est. De l’Algérie. Oui, là d’où je viens, oui. »

Pour les sœurs Belhadj, qu’est-ce que l’identité ? Kabyle, algérienne, arabe, canadienne, féminine, familiale… Tout se mélange en chacune. L’héritage est omniprésent, on se débat avec, on l’aime sincèrement, mais parfois, il nous épuise.

Car qui dit héritage, dit traumatismes transgénérationnels. Et quand on a fui l’Algérie, on traîne dans ses valises la colonisation et ses conséquences, la guerre civile, ses rancunes et sa terreur. Quand on a fui son pays, on se déracine ; pas si facile de les replanter ailleurs, sur un autre continent, de l’autre côté de l’océan. Il y a la diaspora, certes, mais elle aussi, a ramené ses valises pleines du passé. D’un passé si lourd à porter, que plusieurs générations ne suffisent pas pour l’amnistier.

« Quand elle écrit à sa sœur Lounja, au tout début de son immigration, avant que les ressorts ne se détendent et que ma mère ne rejoigne sa sœur, Mouna se fait anthropologue. Elle décrit l’habitat naturel de la faune, parle de la verdure, des arbres, du gazon, elle est arrivée en pays arrosé en permanence, la terre est foncée et couverte de plantes. Ça les change des bidons d’eau à côté du robinet à remplir, vite, quand l’eau est là.

Mouna se fait agente de voyage, elle vend du rêve, mais c’est difficile. Lounja, ma mère, est née terrorisée par toutes les guerres, petites et grandes, par les siennes, survivante de la guerre de révolution et des années noires, par les guerres d’Asias soldat survivant de 39-45 et de la mort par suffocation de son grand frère Wally, mort bébé. Asias a trop de décennies, de raideurs dans le corps pour vouloir aller batifoler en pays étranger, encore.

Inès dit qu’on naît avec les guerres de nos parents marquées dans l’ADN des cellules. »

Le titre n’a rien d’anodin, et c’est une richesse du roman. Le choix des mots est pertinent, l’humour parfois cynique, parfois tendre. Ainsi, les femmes Belhadj ne sont pas réduites à un déracinement. Au contraire, elles ont embarqué leur Algérie avec elles, la Kabylie de leurs ancêtres. Déterrées donc, hors de leur terre, loin de leur terre, mais jamais sans leurs racines.

Les déterrées : une pépite de la rentrée à venir aux éditions Mémoire d’Encrier. Katia Belkhodja :  un ton, une voix, une artiste à suivre.

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