J’attendais ce roman de l’une de mes autrices préférées avec impatience. Pour la première fois, j’ai lu Chimamanda Ngozi Adichie en anglais. J’ai retrouvé tout ce que j’aime dans son art ; gros coup de coeur pour Dream Count, L’inventaire des rêves en français chez Gallimard.
Dans ce roman, nous suivons Chiamaka, Zikora, Kadiatou et Omelogor. Quatre femmes, quatre trajectoires, quatre points de vue. Elles ont leurs rêves et leurs aspirations. Elles font face à la vie, à la société, aux mœurs comme elles le peuvent. J’ai particulièrement été émue par Kadiatou, et je n’en dirai pas plus pour ne pas spoiler, si ce n’est merci à l’autrice d’avoir donné corps à ce personnage. Elles sont toutes les quatre Africaines – Chiamaka, Zikora et Omelogor sont Nigérianes, Kadiatou est Guinéenne. Elles vivent toutes les quatre l’expérience de l’émigration aux États-Unis, pour le meilleur et pour le pire. Avec son regard acéré, Chimamanda dépeint cette société américaine qui se veut constamment supérieure et moralisatrice. Mais tout le monde y prend pour son grade, la France et le Nigéria ne sont pas en reste : j’ai très souvent ri ou souri devant la finesse de ses analyses. Devant les miroirs qu’elle nous tend pour nous montrer nos faiblesses.
Les interactions entre les femmes sont au cœur du roman : interactions entre elles, interactions avec le sexe opposé, interactions avec les injonctions. Comment être une femme aujourd’hui, porter haut et fière ses ambitions sans renier ses racines ? Que veut dire rêver ? Chacune rêve à sa manière. Chiamaka est une grande romantique : elle veut que quelqu’un la voit telle qu’elle est, la connaisse mieux qu’elle ne se connait elle-même. Sa patience et sa gentillesse infusent ses relations, et elle est finalement le liant entre les quatre femmes du roman. Zikora a construit ses rêves sur les modèles de ses pairs. Elle veut un mariage heureux, des enfants élevés dans la tradition, une tradition qu’elle tient à cœur de perpétuer. Comment tradition et modernité s’imbriquent-ils ? Comment le moi profond se nourrit-il de ces deux antagonismes ? Kadiatou vient d’un milieu populaire. Contrairement aux trois autres femmes, rien ne lui a été offert sur un plateau d’argent. Elle a dû se battre. Mais Kadiatou n’est pas une guerrière de feu. C’est une rivière. Elle creuse son lit, déborde parfois sans le vouloir. Reconnaissante, humble (au détriment de sa propre personne), elle voit le destin l’emporter loin de ce qu’elle aurait pu imaginer, guidée par l’esprit fougueux de sa sœur Binta. Omelogor, enfin, est une femme sociale et ambitieuse qui aime sa solitude et le pouvoir qu’elle s’est construit. On la juge, on l’admire, on parle d’elle : elle est incapable de laisser quiconque indifférent, et pourtant, tout ce qu’elle fait, c’est mener sa vie comme elle l’entend. Avec Omelogor ressortent les paradoxes de chacun, et c’est ce qui agace ses interlocuteurs. Les belles valeurs des bourgeois et des riches, elle n’hésite pas à s’en moquer, et elle a raison de le faire. Il est trop facile de s’enfermer dans ses propres convictions. On en devient, à l’image de tout un pays comme les États-Unis, pétri de sa propre importance et condescendant dans ses discours.
Que de réflexions, que de sentiments m’ont traversée à la lecture de ce roman. Le souffle romanesque de Chimamanda a encore frappé, comme je m’y attendais, avec une modernité rafraîchissante sur une panoplie de sujets. Je pourrais écrire des lignes et des lignes, j’ai souligné et copié tant d’extraits, mais je souhaite conclure sur le thème de la sororité, parce que c’est finalement ce que m’inspirent ces quatre personnages. Se dégage pour moi l’idée que la sororité, ce n’est pas juste se tenir main dans la main, se répéter des banalités et tourner en rond sur des problématiques communes. La sororité, c’est s’ouvrir à sa voisine même si on n’aime pas forcément son discours. C’est oser exprimer ses failles et ses peurs, et laisser la place aux failles et aux peurs de l’autre. Comprendre que nous sommes toutes légitimes : nous n’avons pas les mêmes trajectoires, pas les mêmes origines. La sororité, c’est se souvenir que nous sommes multiples, et que la multiplicité, forcément, nous amène vers des désaccords. Nous n’avons pas besoin de nous entendre, mais au moins, nous pouvons nous écouter. Chiamaka, Zikora, Kadiatou, Omelogor : une sororité lumineuse qui s’ignore.
« Actually, Aunty Jane, I do like my life. I flail for meaning sometimes, maybe too often, but it is a full life, and a life I own. I have learned this of myself, that I cannot do without people and I cannot do without stretches of sustained isolation. To be alone is not always to be lonely. Sometimes I withdraw for weeks merely to be with myself, and I sink into reading, my life’s great pleasure, and I think, and I enjoy the silence of my own musing. Sometimes I revel in long spells of satisfying sexlessness, unburdened by the body’s needs. Sometimes my house lights blaze brightly with dinner parties and game nights, and I bring together my different friend groups who otherwise might never meet. »

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