DestinĂ©e romanesque que celle dâOlga, qui traverse les Ă©poques dâun siĂšcle trouble et les Ăąges de la vie avec sagesse. Olga, câest une force de la nature impulsĂ©e dĂšs le berceau, quand sa mĂšre, dâorigine slave, refuse quâon germanise son prĂ©nom pour le bon plaisir de ses beaux-parents. Olga sera Olga. Issue dâun milieu plus que modeste, son enfance est frappĂ©e par la perte brutale de ses parents. DiscrĂšte et dĂ©terminĂ©e, Olga se construit toute seule. Elle nourrit sa soif dâapprendre et, malgrĂ© le manque de moyens, persĂ©vĂšre jusquâĂ atteindre son but : devenir institutrice. Elle reste fidĂšle Ă elle-mĂȘme et Ă ses valeurs. Tombe follement amoureuse de Herbert Schröder-Stranz, un homme quâelle ne peut Ă©pouser du fait de leur diffĂ©rence de milieu social (mais pas que⊠je nâen dis pas plus). Elle sâĂ©panouit, ne cesse de nourrir son Ă©mancipation, sans jamais Ă©loigner pour autant son bien-aimĂ© Herbert, lâaventurier aux ambitions dĂ©mesurĂ©es.
« Et elle Ă©crivait Ă Herbert de longues lettres, et attendait les siennes. Quand cet amour commençait Ă lui peser, qui au fil des annĂ©es les rĂ©unissait seulement pour quelques heures ou quelques jours, elle pensait Ă tous ces gens pour qui la sĂ©paration est la rĂšgle et la vie ensemble l’exception, soldats et marins, explorateurs et voyageurs de commerce, Polonais travaillant en Allemagne et Allemands travaillant en Angleterre. Leurs femmes ne voyaient pas plus leurs maris qu’elle ne voyait Herbert. Elle se disait qu’en amour on n’est pas Ă la disposition l’un de l’autre, mais qu’on est un cadeau, et qu’on pouvait ĂȘtre un cadeau l’un pour l’autre aussi par lettres. Celles de Herbert Ă©taient rĂ©guliĂšrement plus journalistiques et plus bravaches qu’elle n’aurait souhaitĂ©, mais pour autant elles Ă©taient tout de mĂȘme un cadeau qui la rendait heureuse. Il Ă©tait comme ça. »
Mais Olga dĂ©teste la quĂȘte de grandeur de ses compatriotes, cette quĂȘte qui pousse constamment Herbert sur les routes et lâĂ©loigne dâelle. Elle subit lâimpĂ©rialisme allemand et reproche Ă Bismarck la contagion dangereuse de cette frĂ©nĂ©sie. Puis elle subit la PremiĂšre Guerre mondiale, la Seconde Guerre mondiale. Pour survivre face Ă un peuple quâelle comprend de moins en moins, elle se dĂ©tache. Perdre lâouĂŻe Ă©tait peut-ĂȘtre un mal pour un bien, nĂ©cessaire Ă sa survieâŠ
Toujours, il y a le savoir, lâapprentissage et lâenseignement. Et puis il y a lâamour pour Herbert. Ce dernier disparaĂźt durant une mission dans lâArctique, peu avant la PremiĂšre Guerre mondiale. Personne ne saura ce qui lui est arrivĂ©. Olga vivra avec son fantĂŽme. Elle nâest pas dupe : lâArctique lâa emportĂ©, mais sâil Ă©tait revenu, dâautres ardeurs patriotiques le lui auraient certainement arrachĂ©. Peut-ĂȘtre valait-il mieux que ce soit le climat polaire du grand NordâŠ
« Elle secouait la tĂȘte. DĂ©sormais, quand elle parlait de Herbert, elle ne passait plus sous silence qu’il avait pĂ©ri lors d’une expĂ©dition dans l’Arctique qui avait Ă©tĂ© mal prĂ©parĂ©e et mal effectuĂ©e. De mĂȘme, elle n’omettait plus la guerre contre les Herero, et elle parlait de la PremiĂšre Guerre mondiale, oĂč Herbert aurait cherchĂ© la mort s’il ne l’avait dĂ©jĂ trouvĂ©e dans la glace, et aussi de la DeuxiĂšme Guerre mondiale. Elle estimait que c’Ă©tait avec Bismarck que le funeste malheur avait commencĂ©.
Depuis qu’il avait assis l’Allemagne sur un cheval trop grand pour qu’elle pĂ»t le chevaucher, les Allemands avaient tout voulu trop grand. Bismarck ne s’Ă©tait guĂšre souciĂ© de colonies, elle le tenait nĂ©anmoins pour responsable des rĂȘves coloniaux que Herbert avait eus en tĂȘte, et de ses lubies arctiques, et de l’espace vital fantasmĂ© par Eik, et des deux guerres mondiales. Ă ses yeux, mĂȘme la reconstruction et le miracle Ă©conomique avaient pris de trop grandes proportions. »
Bernard Schlink est un savant Ă©crivain. Il agence son roman de maniĂšre originale (quelle joie de dĂ©couvrir les lettres dâOlga dans la derniĂšre partie du livre !). Il interroge son pays, les racines du mal qui lâont rongĂ© au cours du siĂšcle dernier et qui, aujourdâhui, repoussent et refont surface pour diffuser leur poison (antisĂ©mite, raciste, etc.). Il sait aussi nous montrer toute la beautĂ© de la culture allemande. Sa musique, ses paysages, son architecture. Et puis, il y a Olga. Une femme pas comme les autres, qui nous amĂšne Ă questionner lâĂąme humaine, lâamour et la mort sans nous effrayer ni nous ennuyer. Sans grandiloquence (elle dĂ©teste la grandeur, ne lâoublions pas). Olga, câest une simplicitĂ© et une modernitĂ© rafraĂźchissantes. Un rappel de ce qui compte vraiment.
« Elle ne dialoguait pas avec ses morts, parmi ces tombes d’inconnus. Elle aimait les cimetiĂšres parce que lĂ ils Ă©taient tous Ă©gaux, les puissants et les faibles, les pauvres et les riches, les gens qui avaient Ă©tĂ© aimĂ©s et ceux dont personne ne s’Ă©tait souciĂ©, ceux qui avaient connu le succĂšs et ceux qui avaient Ă©chouĂ©. Ă cela le mausolĂ©e ou la statue d’ange ou l’imposant tombeau ne changeaient rien. Ils Ă©taient tous Ă©galement morts, nul ne pouvait ni ne voulait plus ĂȘtre grand, et trop grand ne voulait plus rien dire. »
Encore une pépite que ce roman (tout comme La petite-fille ).

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