Depuis la vitrine du magasin, Klara observe le monde, espĂ©rant un jour ĂȘtre choisie pour rejoindre une famille. Elle est une AA, une Amie Artificielle. Sa mission sera de rendre un enfant heureux. Lorsque Josie sâarrĂȘte devant la boutique et lui promet de lâadopter, Klara sent que son rĂȘve va bientĂŽt se rĂ©aliser. Reconnaissante envers les nutriments que lui offre le Soleil, elle attend, bienheureuse et patiente, le retour de Josie, sans cesser dâobserver et dâanalyser les alentours.
« Quand la mĂšre se remit Ă parler, il Ă©tait Ă©vident qu’elle s’adressait Ă moi. « Ăa doit ĂȘtre agrĂ©able de n’avoir pas de sentiments. Je t’envie. »
Je rĂ©flĂ©chis avant de rĂ©pondre : « J’ai beaucoup de sentiments, j’en suis persuadĂ©e. Plus j’observe, et plus les sentiments auxquels j’ai accĂšs sont nombreux. »
Elle rit de façon inattendue, me faisant sursauter. « Dans ce cas, tu ne devrais peut-ĂȘtre pas ĂȘtre aussi empressĂ©e d’observer. » Puis elle ajouta : « Je suis dĂ©solĂ©e. Je ne voulais pas ĂȘtre grossiĂšre. Je suis sĂ»re que tu as toutes sortes de sentiments ».
Câest un roman Ă la fois poĂ©tique et malaisant. Il exige un certain lĂącher-prise. Klara y infuse Ă©normĂ©ment de douceur, elle qui est un robot optimiste, qui prie pour sauver son amie humaine de la maladie. Ămouvante, empathique, curieuse, elle essaie de comprendre lâespĂšce humaine. Elle devient progressivement un membre Ă part entiĂšre de la famille. Ă un point qui nous amĂšne Ă nous demander : jusquâoĂč sont capables dâaller les humains par peur de la perte, du deuil et de la solitude ?
« – Je suis dĂ©solĂ©e. C’est juste que je suis un peu surprise.
– Ah ? Pourquoi donc, ma chĂšre ?
– Eh bien je… Franchement, je suis surprise parce que la requĂȘte de Miss Helen concernant Rick paraĂźt trĂšs sincĂšre. Je suis surprise qu’une personne souhaite avec autant de vigueur suivre une voie qui la plongera dans la solitude.
– Et c’est ce qui vous surprend ?
– Oui. Jusqu’Ă ces derniers temps, je ne pensais pas que les humains pouvaient choisir la solitude. Que le dĂ©sir de ne pas ĂȘtre seul pouvait ĂȘtre balayĂ© par une force plus puissante. »
Miss Helen sourit. « Vous ĂȘtes vraiment mignonne. Vous ne parlez pas beaucoup, mais je vois que vous rĂ©flĂ©chissez. L’amour d’une mĂšre pour son fils. Un sentiment si noble, pour surmonter la peur de la solitude. Et peut-ĂȘtre que vous avez raison. Mais voyez-vous, il existe toutes sortes d’autres trĂšs bonnes raisons pour lesquelles, dans une vie comme la mienne, on pourrait prĂ©fĂ©rer la solitude. »
LâamitiĂ© de Klara envers Josie est sincĂšre. Sa foi envers le Soleil, quâelle considĂšre comme une forme de dĂ©itĂ©, inĂ©branlable. Avec bienveillance et patience, Klara se fraie un chemin dans le cĆur de chaque personne quâelle croise : la mĂšre de Josie, Rick son meilleur ami, Miss Helen, GĂ©rante, etc. Elle a cette capacitĂ© dâĂ©coute sans jugement dont nous manquons parfoisâŠ
Ce roman unique, avec cette narratrice artificielle, questionne nos liens dâamitiĂ© et dâamour, notre capacitĂ© Ă nous entraider et Ă nous relever. Il est rafraĂźchissant de lire une histoire dans laquelle les robots nous font du bien. Mais la peur pointe en arriĂšre-plan : certains ne voient pas dâun bon Ćil lâexistence des AA. Aussi attachante que soit notre Klara, son existence est en danger.
« Croyez-vous au cĆur humain ? Je ne me rĂ©fĂšre pas simplement Ă l’organe, bien sĂ»r. Je parle dans le sens poĂ©tique. Le cĆur humain. Pensez-vous qu’une telle chose existe ? Cette chose qui rend chacun de nous spĂ©cial et unique ? »
Et si Klara avait un cĆur, un cĆur artificiel, un cĆur robotique, au sens poĂ©tique justement, qui la rend spĂ©cial et unique, comme chaque humain ? Ă travers son personnage, Kazuo Ishiguro a su infuser la chaleur optimiste du Soleil dont nous avons tant besoin pour vivre. Lumineux, tout en finesse.

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