« Aux Ă©crivains, on demande frĂ©quemment s’ils Ă©crivent chaque jour, et quand, le matin, la nuit ? J’Ă©cris quand je ne sais pas. Quand je ne sais pas si je saurai un jour. Ces pages ne sont pas le lieu d’un territoire que j’imagine conquis, d’un terrain marquĂ© de certitudes. Ce livre est une histoire en cours. L’histoire de ce qui nous traverse, une histoire qu’on conjuguerait Ă tous les singuliers. »
Cet ouvrage, câest une sorte de newsletter. Lola Lafon a Ă©crit pendant deux ans, retraçant 2023 et 2024, mois aprĂšs mois, saison aprĂšs saison. Il y a de lâintime et de lâuniversel dans ce journal. Des fulgurances, des analyses, des digressions. Le tout inspirĂ© tantĂŽt des Ă©vĂ©nements marquants de lâactualitĂ©, tantĂŽt de la banalitĂ© de nos quotidiens.
« Nous savons tout de la rĂ©paration, nous sommes rompus Ă nous acclimater Ă ce qui nous dĂ©truit. Nous savons les ravages de ce qu’on avale de force, de tout ce qu’on ravale, ce magma de solitudes et d’impuissances. Et on s’y est presque fait, pour ne pas dire rĂ©signĂ©, Ă avoir en commun la peur de faillir, de ne pas tenir, la peur de ce qui nous attend, la peur de ce qui ne nous attend plus.
On s’Ă©change les adresses de thĂ©rapeutes, des recettes bien-ĂȘtre, on dĂ©cline les couleurs apaisantes sur les murs de notre appartement. On ne se dit plus au revoir mais « prends soin de toi », comme face Ă un cataclysme que l’on sait inĂ©luctable.
On s’y est presque fait, Ă n’ĂȘtre en quĂȘte que de ça, dans les amitiĂ©s, les voyages, les plantes ou les romans : une rĂ©paration. A rechercher en tout de quoi fonctionner encore, telles de petites machines tristes et efficaces, vaillantes, beaucoup trop vaillantes. »
Il nâa jamais Ă©tĂ© trop tard est Ă la fois un bilan et une introspection. Un appel Ă lâaction, un baume sur nos cĆurs, un rappel des liens qui existent entre nous. Miroir de notre Ă©poque, ce petit livre est grand par son contenu. Il exprime nos peurs, nos maux, nos difficultĂ©s. Le double talent de Lola Lafon, câest Ă la fois la justesse et lâĂ©conomie de ses mots. Pour mettre en lumiĂšre tant de rĂ©flexions nĂ©cessaires. Pour nous Ă©mouvoir et nous bousculer. Second ouvrage que je lis de lâautrice aprĂšs Quand tu Ă©couteras cette chanson. Me voilĂ dĂ©finitivement conquise par sa plume, par son regard sur le monde, par sa sensibilitĂ©.
« P.-S.
On ne peut pas dire qu’on ne sait pas. Mais on peut dire que plus on sait et moins on peut.
On peut dire que tous les jours, on oscille entre le dĂ©sir de ne plus rien savoir et le dĂ©sir de ne rien oublier. Ce que nous avons en commun aujourd’hui, c’est bien notre capacitĂ© d’oubli. Mais il n’est pas sĂ»r qu’elle soit sans fin.
On ne pourra pas dire qu’on ne savait pas. Mais on pourra dire qu’on ne savait pas quoi faire de ce qu’on savait. »
Prenez le temps de lire son travail, de le relire, de le partager. Merci, EvangĂ©line et Francis, pour le partage, justement. Merci, Lola Lafon, pour votre confiance, quand vous vous confiez Ă nous dans vos ouvrages. Je dois vous avouer que jâadorerais vous lire quotidiennement. NâarrĂȘtez jamais dâĂ©crire.
« Monstre a pour synonymes phĂ©nomĂ©nal et faramineux. Des monstres, ces cinquante-et-un accusĂ©s ? Mais ils sont, au contraire, d’une humanitĂ© mĂ©diocre, ceux devant lesquels GisĂšle a dĂ©cidĂ© de se tenir, pour les regarder droit dans les yeux. Ils ont la fadeur commune de Monsieur Tout-le-monde, ils sont ces insoupçonnables voisins, amis, collĂšgues, des pĂšres de famille charmants, ils sont cadres supĂ©rieurs, pompiers, profs, ouvriers, artisans ou journalistes, retraitĂ©s ou jeunes trentenaires, ils sont de gauche, ils sont de droite, ils sont aimables, serviables, ils vont chercher leurs enfants Ă l’Ă©cole et font la vaisselle avant de scroller sur le Net et de s’inscrire sur un forum proposant de violer une femme sĂ©datĂ©e, comateuse.
Bien sĂ»r qu’on a peur de l’Ă©couter, GisĂšle. Ce qu’elle met au grand jour est terrifiant : il n’y a pas grand-chose qui diffĂ©rencie un violeur d’un homme. En quoi consiste-t-il, ce « pas grand-chose » ? Qui voudra rĂ©pondre ? Qui s’y attellera ?
Si tous les hommes ne sont pas des violeurs, les violeurs peuvent apparemment ĂȘtre n’importe quel homme. Le procĂšs de Mazan se distingue par le nombre des accusĂ©s, mais il est temps de cesser d’invoquer le caractĂšre particulier de cette affaire en la qualifiant de fait divers hors norme. Cette affaire est le miroir grossissant de tout viol conjugal, ce crime si peu entendu, si peu reconnu. Cette affaire est le miroir dĂ©formant du couple. Et c’est en ça qu’elle pose des questions fondamentales. »

Laisser un commentaire