Qu’est-ce qu’être humain ? Qu’est-ce que l’humanité ? 👦 🌳

Dans la Forêt, Burl « chutchute » et « se faux file », il « image » le monde d’avant, en espérant ne pas faire de « cauchenoir ». 15 ans après le succès de son premier roman, Jean Hegland offre une langue unique à ce « Garçon de la forêt » attachant.

« J’écoutais mes mères, aussi, leurs voix comme une autre sorte de rivière, leurs mots qui m’enveloppaient tout entier dans leurs sortilèges sonores et me nourrissaient de leurs fascinantes significations. Mes mères m’ont appris tellement de mots – des verbes pour saisir l’action, des noms pour la figer en actes distincts. Sans compter les mots qu’on a créés après, quand ceux que mes mères avaient apportés avec elles du monde d’Avant n’étaient pas assez complets ou justes pour dire tout ce qui était nouveau dans le monde de ce nouveau présent. »

Burl est heureux avec ses deux mères. La nature lui offre tout ce dont il a besoin depuis sa naissance. Mais il espère en cachette rencontrer d’autres personnes de son espèce, attiré par ce besoin profondément ancré dans nos gênes. C’est un secret, car il sent bien que ses deux mères se méfient des inconnus. Ce qu’il ignore, c’est qu’elles ont perdu foi en l’humanité. Après tout, c’est l’espèce humaine qui a conduit à sa propre perte, lorsqu’elles étaient plus jeunes…

« J’ai été très fort tenté de les réveiller, mais j’avais des raisons plus fortes de n’en rien faire. Je voulais être courageux, bien entendu. Sur tout maintenant que j’entrais dans ma seizième année, car je refusais d’imposer à mes mères un fardeau que je pouvais porter seul. Mais bien plus encore, je ne voulais pas avoir à leur raconter le début de mon rêve, quand j’étais en chanté et en voûté et heureux d’être en compagnie d’étrangers. »

L’humanité a besoin d’entraide et de solidarité pour survivre. Entraide et solidarité sont d’ailleurs le terreau de l’expression « faire preuve d’humanité ». Mais l’humain est fragile, il possède en lui la capacité de nuire à autrui et à la planète. Pointe ici le paradoxe ultime de notre espèce. D’un côté, l’attrait pour l’autre, la curiosité pour l’inconnu, le besoin de nouvelles rencontres et de nouveaux apprentissages. De l’autre, la méfiance, le rejet de l’étranger, la peur du changement et de la perte, et malheureusement, la capacité de détruire par la violence.

« Je ne dis pas que je n’aime pas ce que j’ai, juste que je ne peux pas stopper mon désir grandissant d’avoir davantage. Même si là quand je déplace mon regard de notre capane plongée dans une chaude pénombre pour revenir au tas de glands à moitié farinés dans mon mortier, je me rends compte que ce que je désire vraiment, ce n’est pas avoir plus que ce que j’ai mais le partager. »

Jean Hegland nous met face à cette question : Dans un monde détruit par l’Homme lui-même, comment se refaire confiance ? En même temps, reconstruire passe forcément par l’entraide : nous ne sommes rien tous seuls. Burl incarne la curiosité : il est animé par le besoin de plus en plus pressant de rencontrer ses semblables. Eva et Nell, ses mères, incarnent la méfiance : elles ont trop souffert et préfèrent renoncer aux interactions humaines.

« Tous mes espoirs de mener un jour une vie entre mêlée avec d’autres gens se sont envolés, et il ne reste que des ruines qui ruinent tout. C’est une autre perte dont je ne veux pas parler, car à tous les coups, Eva répondrait qu’elle savait que ça se passerait comme ça, et la souffrance de Nell est bien plus grande que mes espoirs brisés pourront jamais être. Mais depuis son retour, j’ai appris que la seule chose pire que de savoir qu’il n’y a plus personne sur Terre, c’est de savoir que les personnes qui restent sont des personnes qu’on ne souhaite pas rencontrer. »

Il y a, tout au long du roman, un parallèle intéressant avec le manichéisme de l’œuvre du Seigneur des anneaux. En racontant des histoires, et notamment celle inventée par Tolkien, Eva et Nell nous rappellent le rôle primordial que joue la transmission pour appréhender le monde.

Ce roman m’a fait du bien. Grâce à la poésie de la Forêt, la langue imaginative de Burl, cette famille composée de « Noutrois », et l’espoir insufflé malgré les difficultés du monde d’Après. Il nous interroge sur ce que c’est qu’être humain. Qu’être vivant.

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