Dans Cent ans de solitude, Gabriel García Márquez nous ouvre les portes de la maison des Buendia. Il nous invite à nous installer tranquillement à ses côtés à Macondo, un petit village perdu en Amérique du Sud. Il nous raconte les soucis quotidiens, le temps qui s’écoule, les relations qui se nouent et se dénouent. La vie, la mort, et tout ce qui se passe entre les deux ; joie, extase, malheur, décadence, trahison, réconciliation. Quand il évoque les faits de guerre du colonel Aureliano Buendia, il n’entre pas dans le détail des combats entre les conservateurs et les libéraux. Au sujet de la compagnie bananière américaine, il ne s’attarde pas sur les grèves, les syndicalistes et les répressions. Ce qui l’intéresse, c’est de montrer Macondo meurtri, changé par les événements, se relever et continuer à vivre avec ses habitants.
« Il fallut beaucoup de temps pour que Rebecca finît par s’incorporer à la vie familiale. Elle restait assise dans le fauteuil à bascule à sucer son pouce dans le coin le plus reculé de la maison. Rien n’éveillait son intérêt, excepté la musique des horloges, toutes les demi-heures, qu’elle cherchait avec des yeux inquiets comme si elle eût espéré l’apercevoir quelque part en l’air. Pendant plusieurs jours, on ne réussit pas à la faire manger. Personne ne comprenait comment elle n’était pas déjà morte de faim quand les indigènes, auxquels rien n’échappait parce qu’ils parcouraient sans arrêt la maison à pas feutrés, découvrirent que Rebecca ne se plaisait à manger que la terre humide du patio et les plaques de chaux qu’elle détachait des murs avec les ongles. Il était évident que ses parents, ou quiconque l’avait élevée, avaient dû la réprimander pour cette mauvaise habitude, car elle ne s’y livrait qu’en cachette et consciente de mal agir, s’évertuant à dissimuler ses rations pour les dévorer à l’insu de tout le monde. Dès lors ils la soumirent à une surveillance de tous les instants. »
Ce roman a quelque chose d’organique. La vie et la mort débordent. Les phrases coulent comme un fleuve. Mais un fleuve qui est loin d’être un long cours tranquille. La nature y est omniprésente, merveilleuse, tantôt alliée, tantôt antagoniste, toujours liée aux humains. À l’image des papillons jaunes qui annoncent à Meme l’arrivée de son bien-aimé Mauricio Babilonia. De Rébecca et sa lubie de manger la terre et la chaux des murs de la maison. D’Ursula qui annonce qu’elle mourra quand la pluie s’arrêtera (une pluie incessante et cruelle qui s’abat quatre années, onze mois et deux jours durant, rendant les humains verdâtres et humides). Des fourmis rouges qui, sans cesse, s’en prennent à la maison, menant un combat gagné d’avance contre Amaranta Ursula.
« Taciturne, silencieux, insensible au nouveau souffle de vie qui faisait trembler la maison, c’est à peine si le colonel Aureliano Buendia comprit que le secret d’une bonne vieillesse n’était rien d’autre que la conclusion d’un pacte honorable avec la solitude. »
La maison elle-même est vivante, animée par l’accumulation de souvenirs et de fantômes. Un lieu où chacun partage sa solitude avec l’autre. J’ai trouvé cette idée si belle : partager sa solitude. Progressivement, on en devient moins seul.

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