Pour Cléo Louvent, sa vie ne peut prendre qu’une seule tournure : la célébrité. Dès l’adolescence, elle le sait, elle fera tout pour atteindre ce but et devenir une chanteuse à succès. En employant le « je », Maud Ventura nous embarque dans la tête de cette diva que rien n’arrête. Nous sommes ses obsessions, son talent, son bouillonnement intérieur. Nous vivons son entêtement, ses désillusions, ses victoires, depuis les premières loges. La plume incisive de l’autrice est percutante et addictive : Cléo Louvent est à la fois attachante et détestable. Forte et vulnérable. Humaine malgré tout.
Le sujet m’a tout de suite interpellée, mais ce que j’ai le plus aimé, c’est que Maud Ventura nous rappelle qu’il y a un être humain derrière la popstar. Progressivement, nous voyons Cléo se détacher du reste des humains (ou ne serait-ce pas plutôt le reste de la population qui la détache ?). Elle est admirée, elle est crainte. Plus rien ne lui appartient. Le corps, les gestes, les mots, mêmes les choix. Tout est à calculer, à sous-peser. La chute peut advenir d’une erreur minuscule, d’une phrase de quelques mots.
Pourtant, l’addiction. La drogue, l’ivresse. L’engrenage. Pas de demi-tour possible. Cléo en veut toujours plus. Ce n’est pas qu’elle en veut, en vérité : c’est son oxygène. L’éternelle insatisfaction est à la fois le moteur créatif et la malédiction. La compétition pousse à se dépasser. Tout est faux et en même temps il faut puiser dans ses tripes la vérité qui fera émerger une nouvelle chanson.
« Installée au soixantième étage d’un gratte-ciel du quartier financier de New York, je contemple l’Empire State Building qui brille au loin, et je comprends que je ne me réveillerai jamais un matin en pensait : j’ai réussi, ça y est, la course est terminée, des ailes me poussent dans le dos, je suis un archange, je marche sur un nuage, je tutoie le divin, à moi la félicité éternelle. Même au sommet, on ne se dit jamais c’est déjà bien. On observe la vue en se demandant : et après ? ».
Le plus fascinant dans ce roman ? Le miroir tendu de notre société de l’image. De ce que nous arrachons à nos célébrités. La vie par procuration est un vampire suceur du sang des stars. Entre ces lignes, nous voyons nos propres névroses, nos jalousies, nos désirs, nos pulsions, nos envies.
« Grâce aux réseaux sociaux, tout le monde a la possibilité de m’envoyer un message, et apparemment tout le monde se sent libre de le faire. Mon portable me fait l’effet d’une journée portes ouvertes continuelle : on vient passer une tête, dire bonjour, donner son avis, m’encenser, me descendre, m’interroger, s’informer. « Quelle est la marque des chaussures que vous portiez hier soir sur scène ? » ; « Par curiosité, d’où vous est venue l’idée d’écrire une chanson sur une personne coupée de ses émotions, avez-vous été diagnostiquée Haut Potentiel Intellectuel ? » ; « Il y a des faux billets en vente pour le concert de vendredi, des gens que je connais se sont fait arnaquer. C’est scandaleux ».
Je me souviens du jour où j’abandonne. Un matin, je déverrouille mon portable : 400 notifications sur WhatsApp, autant de SMS, 1 852 mails non lus, des dizaines de milliers de messages sur Instagram. J’ai pris trop de retard, impossible de tirer les demandes et de garder le fil. »
La célébrité transforme Cléo. Elle veut cette mue, elle a tout fait, depuis sa jeunesse, pour y parvenir. Quelle est la part de responsabilité de la société dans son évolution ? Cléo croit contrôler les règles du jeu, elle croit se jouer du système en en intégrant les règles. Le système réussira-t-il à la broyer ? Elle finit par vouloir tout contrôler, victime de sa tendance à tout théâtraliser. Elle aimerait que la vie soit mise en scène. Plus aucune spontanéité. Tout est millimétré. Elle devient irritable, impatiente, capricieuse. Mais on se demande : serait-on différent à sa place ? Comment gèrerions-nous la pression, la terreur de la chute, les regards constamment braqués, la vie sous caméra ? Facile de les juger, depuis notre canapé… La solitude. L’incompréhension. L’épuisement. On peut imaginer être à sa place mais on ne le comprendra jamais vraiment. Je n’ai pas une seule fois eu envie d’être dans sa peau.
« « Elle est plus grande que ce que j’imaginais » ; « Je l’adore, son dernier album est génial » ; « Mon frère déteste sa musique, il ne peut pas la voir ». C’est dingue, personne ne prend la peine de chuchoter. Je suis un tableau exposé dans un musée : on s’approche par curiosité, on me juge, on m’admire, on me dénigre, et finalement on passe son chemin. »
Et puis la fin… Un tour de maître.

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