Je continue cette rubrique consacrée à la rentrée littéraire 2024 avec un joli premier roman signé Ruben Barrouk aux éditions Albin Michel, à paraître le 21 août.
Alors que la grand-mère est hantée par un bruit qui lui en fait perdre le sommeil, mère et fils quittent Paris et s’envolent la retrouver à Marrakech. Ce séjour est un voyage mélancolique. On y lit la douce nostalgie des souvenirs d’enfance. La grand-mère fait figure de dernière Juive de Marrakech. Elle vieillit et craint la fin d’une époque. Il est question d’héritage séfarade, de mythologie et de saints. Le bruit devient le prétexte d’un double pèlerinage, sur les traces d’un passé familial mais aussi du passé de tout un peuple.
« Il y avait une urgence déclarée d’en venir chaque fois à l’étape d’après, et cela inquiétait. Car elle donnait à chacune moins de temps, priant que la suivante, ou la dernière, vaille la peine d’accélérer la vie. Il n’y avait que le bruit. Seul le bruit était capable de la retenir un instant dans l’atonie du présent. Alors, tout ce qui empêchait ce bruit de surgir du plus profond silence devenait dispensable. Marcher, cuisiner, coudre, disparaître entre les lignes d’un livre, tout ce qu’elle avait eu jadis cœur à faire était devenu vain. Car son entière attention désormais appartenait à ce bruit, à cette noce silencieuse où se manifesterait, à pas feutrés, son amant détesté. Bientôt, elle couperait l’eau du robinet, mettrait sur la grille l’assiette à égoutter et s’enfoncerait à nouveau dans le fauteuil de l’entrée, silencieuse, prête à confondre son bruit, plus audible la nuit. »
La plume de Ruben Barrouk est belle. Il est particulièrement doué pour les descriptions. Il m’a emportée et émue. Je voyais cette grand-mère s’affairer. J’imaginais ces rues marrakchies, ses parfums, ses senteurs, ses ombres. Ses bruits.
« Yak. Ce petit mot, ma grand-mère l’employait aussi souvent que possible. Si facilement, yak se faisait une place dans chaque conversation. Il signifie « n’est-ce pas ». Il est le petit dernier d’une fratrie de mots qui ne grandit jamais, qui de justesse parvient toujours à s’insinuer avant que les grandes portes de la parole ne se referment seules. Il se montre sous les airs d’un début de question et tinte comme le bruit de l’âme qui sème le doute partout. Il dit « rien n’est jamais certain, tout est seulement possible ». Il est le son du doute que ma grand-mère, sans peine, se plaît à employer à chacune de ses phrases. Ainsi yak, les choses peuvent être, ou ne pas être. Tout devient révocable. De ses trois lettres, il fait vaciller toute vérité, et vibrer le fil sur lequel tous ceux qui l’ont précédé se tiennent en équilibre. Qui eût cru qu’une si petite chose, de sa timide empreinte, rende tout si vulnérable ? Il cherche l’approbation, quand sa maîtresse, elle, doute. Ma grand-mère s’est attachée à lui. Lui s’est offert à elle. »

Laisser un commentaire