Un très beau roman qui questionne l’identité, les racines, le pardon et la transmission transgénérationnelle des traumatismes. On suit deux hommes, nommés tous les deux Zacharias, à deux époques différentes.
Le premier, le grand-père, est pêcheur dans un village côtier du Cameroun. La vie n’est pas facile tous les jours, la pêche n’est pas toujours fructueuse, mais son épouse et ses deux filles sont heureuses ainsi. Une compagnie forestière bouleverse leur quotidien. L’appât du gain est trop fort. Le pêcheur se brûle les ailes et emporte sa famille dans sa chute. La modernité est-elle l’ennemie du bonheur ? En tuant les traditions, le progrès détruit-il des vies ?
« Sango Dimoli fut long à réagir. Combien de drames faudra-t-il encore au monde, combien de morts pour assouvir la voracité de cette bête que les hommes nomment honneur ?
– D’accord. Considère que c’est fait.
Zacharias ne cacha pas sa surprise :
– Comment ? C’est tout ? Tu ne me demandes rien ? Tu n’accomplis pas de cérémonial ? Pas de sacrifice ?
– Non mon frère, je n’ai besoin de rien, rien de tel en tout cas. Mais tu dois me promettre une chose.
– Tout ce que tu voudras.
– Tu m’as confié une mission, je m’en occupe, tu as ma parole. Maintenant rentre chez toi. Prends soin de ta femme et de tes enfants. Sois le père aimant, présent que méritent les petites princesses dont tu m’as parlé avant tant de tendresse. Redeviens l’homme que Yala a épousé, investis-toi dans le village. Sois quelqu’un, pas un ancien prisonnier, un homme qui n’a pas su protéger sa famille, un pauvre gars en colère et impuissant. Ce que tu as fait est derrière toi, ce qu’on t’a fait subir ne te définit pas. Je m’occupe de ta vengeance, je t’en débarrasse ici et maintenant. En échange, promets-moi de redevenir l’homme que tu n’aurais jamais cessé d’être si l’adversité n’avait été si implacable. »
Quelques décennies plus tard, le petit-fils, à notre époque contemporaine, a coupé toutes ses attaches avec son pays natal et vit en France où il se comporte comme une feuille blanche sur laquelle tout resterait à écrire. Mais à mesure que le temps passe, le passé le rattrape forcément, remonte dans son subconscient, se traduit par des actions autodestructrices. Peut-on couper ses propres racines et refuser de les confronter ?
« Des années d’évitements, de faux-semblants, de manques et de doutes ont soudain déferlé. Toutes les années, tous les instants, un à un, sans répit, sans pitié. Personne ne devrait partir de chez lui comme Sunday et moi. Couper tous les ponts, larguer les amarres et ne plus pouvoir revenir en arrière. Nous ne devrions pas avoir à avancer sans repères, sans protection, nous délester de tout ce que nous avons été, s’arracher à soi en espérant germer dans une nouvelle terre. Ceux qui ont ce privilège voyagent l’esprit léger. Ils partent de leur plein gré, sachant qu’ils peuvent revenir quand bon leur semble. Nos périples à nous ne prévoient aucun retour, nous ne sommes pas des voyageurs mais des exilés. L’exil est un bannissement et une mutilation, il y a là quelque chose de profondément inhumain. Quel que soit le danger que l’on fuit et le soulagement de s’en éloigner, chacun mérite de garder quelque part en lui l’espoir d’un retour. »
Je découvre Hemley Boum, sa plume m’a touchée. Quelle beauté, quelle justesse. Je me réjouis de la lire à nouveau.

Laisser un commentaire