Le sort, le destin, le mektoub (lui-même ne sait pas comment l’appeler) s’acharne sur Yacine Cheraga, un jeune Algérien candide qui toujours se relève malgré l’adversité. Arraché aux siens par le caïd, envoyé dans les tranchées pour mener une guerre qui n’est pas la sienne, fugitif dans son pays, incapable de retrouver la trace de sa famille disparue, il enchaîne les épreuves de la vie.
« – Je t’observe depuis hier. Tu es tout effrayé. Tu reviens de la guerre, que je sache. Dois-je comprendre que la misère est plus terrifiante que les champs de bataille ?
– Ce n’est pas la même horreur, mais c’est la même tragédie. »
Qui est-il vraiment, Yacine ? Peut-il lui-même répondre à cette question ? Que signifie vivre, et pourquoi mourir lui semble parfois le remède ? Comment continuer d’avancer, quand d’autres le ramènent constamment à la case départ ? Quand il croyait toucher le fond, s’en sortir enfin, mais retombe plus bas encore ? Mérite-t-il ce qui lui arrive ? Subit-il un châtiment divin?
« Vivre, c’est accepter de prendre sur soi afin de passer à autre chose. Ne cherche pas où tu as fauté. Nul n’est à l’abri de lui-même. On croit pouvoir se rattraper, et on ne fait que graviter autour du remords comme un insecte autour d’une flamme, au risque de se faire un mal plus grand que celui qu’on a subi. »
Yacine croise sur son chemin des survivants, des miséreux, des profiteurs, des fous, des généreux. Finalement, ce qui donne du sens à sa vie, ce sont les êtres qui gravitent dans la sienne, qui l’aident ou l’enfoncent dans ses difficultés, qui lui ouvrent les yeux ou le rendent aveugle.
« – Rappelle-toi, mon garçon. L’échelle de la Sagesse comporte sept paliers qu’il faut impérativement franchir si l’on veut accéder à soi, rien qu’à soi, et à personne d’autre.
– Sept paliers ?
– Dans Le Manuscrit des Anciens, on les appelle « Les sept marches de l’arc-en-ciel » (il compta sur ses doigts) : l’amour ; la compassion ; le partage ; la gratitude ; la patience et le courage d’être soi en toutes circonstances. Si tu arrives à en faire montre, tu atteindras le sommet-roi, celui qui te met hors de portée de doute et tout près de ton âme.
– Tu n’en as cité que six.
Il sourit, de ce sourire qui en dit long sur les chemins de croix qu’il avait dû négocier pour accéder à son âme.
– Va, mon garçon. La septième est au bout de ton destin. »
L’horreur des tranchées en France, la misère et la richesse qui s’opposent dans la ville d’Oran, la beauté farouche du Sahara… à travers le destin hors-norme de son protagoniste, Yasmina Khadra interroge la sagesse, la cruauté et la solidarité, questionne ce qu’être humain signifie. Un grand roman de l’auteur algérien.
« Devant nous, la plaine étalait ses meurtrissures à perte de vue, criblée de cratères noircis. Une ferme brûlait au milieu d’un verger. Ça sentait la poudre et le feu… Au cœur de la désolation, comme pour narguer la folie des hommes, une belette regagnait les bois, souple et légère comme une insouciance. Nous passâmes la nuit aux aguets, chacun à son poste, le doigt sur la détente. L’ennemi ne se manifesta nulle part. On n’entendait ni bruit suspect ni détonation.
Le matin, une brume émergea de la forêt sur notre droite, dévala le talus et se répandit lentement sur la plaine comme pour panser les blessures d’une terre qui avait dû être paradisiaque avant que les armes n’interviennent. Si le malheur n’officiait pas en ces lieux outragés, on s’allongerait sur le dos et on fixerait le ciel en quête de souvenirs heureux, le talon sur le genou et la tige d’une marguerite entre les dents. Mais l’esprit était ailleurs, là où les rêveries étaient proscrites, où la moindre distraction pouvait déboucher sur le drame. »

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