La nuit arrache Kiara à l’enfance.

Le monde déjà compliqué de Kiara se délite. Dans quelques mois, elle aura dix-huit ans. Elle vit seule avec son frère, Marcus. Leur père est décédé après sa sortie de prison, leur mère est en centre de réinsertion. La voisine de palier se drogue à longueur de journée et ne s’occupe pas de son jeune fils, Trevor. Les impayés se succèdent. S’ils ne paient pas le loyer, ils seront expulsés. Marcus ne pense qu’à rapper : il est persuadé qu’il va percer dans le milieu, comme Oncle Ty, et que tout va s’arranger. Mais le succès n’arrive pas, les billets manquent, et Kiara se retrouve sur les trottoirs d’Oakland. À dix-sept ans, sans expérience, personne ne lui donne sa chance, et elle finit par vendre son corps pour la survie de ses proches. C’est le début de l’engrenage. La nuit la happe, l’arrache définitivement à l’enfance, la dévore de l’intérieur.

Le récit de Kiara nous embarque dès les premiers mots. Cette jeune femme courageuse est catapultée dans un monde dangereux. La police, complice, empire sa situation. L’emprise devient totale. Elle ne sait plus comment se sortir de tout ça. Elle s’accroche à Marcus, à Trevor, à Alé, au passé qui est passé, aux fantômes de ses parents. Rien ne sera plus comme avant, mais son entourage reste son ancrage. Elle perd pied mais réapprend à nager, sous nos yeux de lecteur.

Ce premier roman de Leila Mottley est excellent. On veut du bien à ses personnages, on s’attache à Kiara, on veut secouer Marcus, prendre soin de Trevor. On exige la justice pour ces gens qui se démènent pour survivre. On se révolte quand ce sont les prostituées qui sont ostracisées et punies, quand les travailleuses du sexe sont maltraitées et en danger.

« — Je n’ai jamais vu Trevor comme ça, parler avec une lame au fond de la gorge.

Elle fait tourner son ballon et Trevor l’imite avec le sien.

— T’as parié sur moi ?

— Contre toi, en fait. J’ai pas assez de fric pour le gâcher en misant sur quelqu’un qui sait pas jouer.

Elle s’échauffe et l’odeur du sel s’épaissit.

— Tu sais même pas tenir un ballon, alors tu ferais mieux de faire gaffe à ce que tu dis.

On sait tous reconnaître un défi quand on en entend un. On veut tous la bagarre mais sans avoir à nous servir de nos poings. Question de survie. On dirait que cette fille étire tout son corps et que ses jambes s’allongent, comme si elle pouvait atteindre la victoire rien qu’en aspirant une plus grande quantité d’air. Trevor lui explique les règles du jeu, comme si jusqu’ici il avait fait autre chose que juste regarder les gens jouer : deux contre deux, onze points pour gagner, une faute et tu sors. La coéquipière de la fille au sel de la baie apparaît à côté d’elle et visiblement elle nous écoutait depuis le début. Une carrure plus petite mais avec de gros bras qui sortent de son corps en s’agitant. Sa transpiration sent bon le jasmin et ça veut sûrement dire qu’elle a chipé le parfum de sa mère ce matin.

— J’ai pas toute la journée, je leur dis. »

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