Un premier roman puissant, monstrueusement actuel.

La violence éclate dans le quartier de First Street, à Charlottesville en Virginie. Da’Naïsha Love, l’une des habitantes, parvient à sauver ses voisins en conduisant à toute blinde un bus abandonné hors du chaos. Le petit groupe termine sa fuite à Monticello, la plantation historique de l’ancien président Thomas Jefferson.

Le récit est puissant : on vit les événements avec Naïsha. La jeune femme a réussi à sauver sa grand-mère, mais cette dernière souffre d’asthme, et son seul inhalateur est bientôt à sec. La communauté est à cran, au début hagarde, choquée, sidérée. Progressivement, elle s’organise. L’humanité a implosé à l’extérieur ; les voisins de First Street la reconstitue sur les collines d’un ancêtre ambivalent. Les humains sont fascinants : ils apprennent à s’organiser ensemble face à l’adversité. Une adversité dont ils sont souvent la cause…

En écrivant ce futur chaotique, l’autrice confronte le passé esclavagiste des Etats-Unis. Un pays qui ne sait pas se construire autrement que sur la violence. Naïsha serait l’une des descendantes de Thomas Jefferson et de son esclave Sally Hemmings. Vivre entre les murs de sa demeure, fouler les jardins de Monticello : tout cela résonne étrangement en elle. Comme un cycle qui s’achève, une boucle à boucler.

« Cet homme avait parlé de l’un de ses ancêtres, un ancien esclave affranchi, venu à la vente aux enchères des Jefferson dans l’espoir d’acheter l’émancipation des membres de sa famille. Sauf qu’il lui était impossible de les acheter tous. Qui acheter ? La femme ou le fils ? Et qui regarder partir, vendu au coton, à l’oubli, et bien pire ? En l’écoutant, je m’étais efforcée de ne pas penser à ce que cela aurait pu être d’avoir à choisir entre Momma ou MaViolet. De me retrouver moi-même sur l’estrade des enchères, à faire face à la perte de tout ce que je connaissais, de tous ceux que j’aimais. »

Je me suis énormément attachée à Naïsha. Sa relation fusionnelle avec sa grand-mère ma rappelé la mienne. Naïsha est courageuse mais aussi perdue. En proie aux dangers de notre époque : la crise écologique, les suprémacistes blancs, l’effondrement de la démocratie. Sur toutes ces externalités, se greffent ses problèmes intimes. Elle semble culpabiliser d’aimer un Blanc (vis-à-vis de qui ? De sa communauté ? De cette ancêtre, Sally Hemmings, dont on ne sait pas si elle aimait Thomas Jefferson ou s’il a abusé d’elle ?). Enceinte, elle ne sait pas de qui est l’enfant. Mais ce fœtus, c’est la vie qui continue. Et malgré toutes les horreurs dont sont capables ses semblables, elle refuse de remettre en question la croissance de cet être dans son ventre.

« Je voulais qu’il arrête de parler. Je voulais m’en aller et marcher loin là-bas dans la boue de l’esplanade. J’ai dit, Comment c’est possible, d’aimer quelqu’un quand il a autant de pouvoir sur toi ? »

Ce premier roman signé Jocelyn Nicole Johnson est une pépite. Il est à la fois émouvant et éreintant. Chaque personnage nous accroche. À la fin, on espère le meilleur. Quand tout s’effondre, quand tout semble perdu, l’espoir demeure malgré tout. Même infinitésimal. Brillant.

« Les armes étaient à mes yeux les instruments d’un pouvoir arbitraire, le risque possiblement fatal de méjuger la valeur d’un autre être que soi. »

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