L’histoire d’un homme et d’une déconstruction.

Tout commence lorsque Ndéné, le protagoniste et narrateur, visionne une vidéo abominable : celle d’un corps déterré de sa tombe par une foule vengeresse, celle d’un être à qui l’on refuse le repos éternel. Pour quelle raison ? Parce que soupçonné d’être homosexuel. Or l’homosexualité est un péché grave, un mal importé, une caractéristique contre-nature et contre laquelle il faut lutter pour préserver l’intégrité de la culture sénégalaise. Cette vidéo est un électrochoc pour Ndéné, il ne parvient plus à s’en détacher. Sa vie bascule, la violence déferle à mesure qu’il avance dans ses questionnements.

« Éprouver une terreur sacrée devant un fait, en être profondément bouleversé, puis s’adonner au plaisir peu après en oubliant le drame : il n’y a qu’un homme pour être ainsi, pour être tour à tour, ou à la fois, le frère du monstre et la sœur de l’ange. Aucune vraie décence ne dure. Ou alors c’est seulement moi qui suis comme ça. »

Ce roman nous met face à la nature humaine dans ce qu’elle a de plus grégaire. L’auteur nous rappelle de ne jamais oublier que nous faisons partie de ces humains, qui trop souvent manquent cruellement d’humanité (le paradoxe ultime de notre espèce). Il nous rappelle qu’il est facile de juger, de ne plus mesurer le poids de nos évidences, de nos valeurs, de ce qui est ancré en nous.

Il fallait tout le talent de Mohamed Mbougar Sarr pour s’attaquer à ce sujet difficile de l’homophobie, pour écrire un roman qui résonne en nous, peu importe notre orientation sexuelle, notre religion et notre origine.

« J’avais envie de répondre aux élèves, comme Proust le fit à Sainte-Beuve, qu’il y avait deux hommes chez un écrivain : l’homme ordinaire, celui qui arrive en retard, fait la lessive, relève le courrier, rate ses plats, promet qu’il ne boira qu’un verre ou qu’il sera à l’heure, le moi social, donc, et l’artiste, le moi profond, celui qui crée, travaille à dire le monde, cherche en lui la beauté, quitte à fouiller dans la laideur. Chez Verlaine, j’aimais le poète, l’homosexuel m’importait peu. Mais je savais que ma réponse semblerait absurde aux étudiants. Ils ne réussiraient jamais à admettre que Verlaine ait été un homosexuel. Ils le lui reprocheraient toujours. Je les comprenais : la culture, l’éducation, les valeurs qu’on leur avait inculquées les avaient conduits à refuser de fermer les yeux sur les homosexuels, Verlaine ou d’autres. Verlaine a eu des relations homosexuelles. Les élèves ne pouvaient l’accepter. Ils n’iraient jamais au-delà de ce fait si grave à leurs yeux. Ils ne verraient jamais la beauté de la poésie de Verlaine, puisque sa personne était impure ».

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