Une SF au féminin intelligente, jamais cliché.

Dans un monde futuriste frappé par une forte stérilité et la diminution du sexe masculin dans la population, Elisabeth Vonarburg nous fait découvrir la vie de Lisbeï, née à Béthély. Déjà curieuse dans l’enfance, Lisbeï ne cesse de chercher des réponses dans le passé pour comprendre son présent, pour appréhender les choix politiques et spirituels du Pays des Mères. Sa détermination, son obstination même, me l’ont rendue très attachante.

En bon roman de SF, celui-ci nous donne à penser notre société actuelle, notamment sur la question du genre. Mais Elisabeth Vonarburg va bien plus loin. Sur la forme : l’écriture est pertinente et passionnante. Les femmes étant en supériorité, la langue s’accorde naturellement au féminin, nous amenant à déconstruire le langage. Sur le fond : elle aborde une panoplie de sujets dispatchés au fil des pages au côté de Lisbeï. La pollution qui rend invivable une partie de la planète. Les guerres sanguinaires et les dictatures passées qui ont façonné le Pays des Mères. Le monothéisme au féminin avec la foi en Ellie, Déesse unique, et la réécriture des mythes et des contes. La position minoritaire (et précaire) des hommes, qui nous amène à réfléchir les systèmes de domination.

C’est intelligent, jamais cliché. Pas un page-turner, mais un bijou complexe qui doit se savourer à sa juste valeur pour être apprécié. Loin du terrible futur imaginé par Margaret Atwood dans La Servante écarlate (et ça fait du bien, de lire un roman d’anticipation plus apaisé).

« Il était bien question de travailler ! Faï, exaspérée par la distraction générale, écourta la leçon d’écriture et envoya tout le monde travailler dehors. Mère, mère, se répétait fiévreusement Lisbeï, tout en arrachant indistinctement changelines et pousses légitimes de son carré de petits pois avec une énergie superflue. Et alors, un mâle, c’était l’autre nom de l’homme, pour conserver la symétrie. Mais à quoi pouvaient bien servir des graines de « mâle » dans le ventre de la « mère » qui devait faire des filles ? Et puis, comment faisait-on pour les mélanger, toutes ces graines ? Et pourquoi les mélanger, d’abord ?

Méralda débordait de réponses. On prenait les graines dans le ventre des « mâles » avec une seringue, comme le sang à l’infirmerie, et ensuite on les mettait de la même façon dans le ventre de la « mère ».

« Elle ne pourrait pas plutôt les avaler ? » demanda Meï, qui détestait les piqûres.

Méralda se sentait généreuse dans son heure de gloire : « Ou bien elle les avale. En tout cas, les graines se mélangent comme ça et les mères font pousser les enfantes dans leur ventre. Toutes les enfantes », insista-t-elle avec un regard appuyé du côté des garçons.

Lisbeï se retint avec peine de demander comment les femmes décidaient de faire des garçons et non des filles. Ou bien était-ce Elli qui choisissait, au fait ? Puisque c’était Elli qui avait décidé qu’il y aurait moins de garçons que de filles.

Toutes les autres semblaient satisfaites des explications de Méralda. Sauf Turri et Rubio, qui n’appréciaient visiblement pas l’idée que les hommes (les « mâles ») ne faisaient pas les garçons dans leur ventre.

Dans le silence satisfait qui avait suivi les commentaires de Méralda, Turri s’écria soudain : « Non, je sais comment ! C’est à ça que sert le tuyau ! ». Les filles échangèrent des moues dédaigneuses et amusées : il allait encore essayer de justifier le disgracieux appendice des garçons. Mais il enchaîna (et si excité qu’il ne bégayait plus du tout, remarqua Lisbeï) : « Puisque c’est creux, ça peut rentrer dans le ventre des mâles pour aller aspirer les graines et ensuite ça ressort pour les mettre dans le ventre des mères, par le nombril ! ».

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