Nous sommes en 1870, année charnière pour l’Italie. La vie de Pietro bascule lorsque la comtesse Silvia de Boccamora le choisit et l’adopte, l’arrachant ainsi au misérable orphelinat où il a toujours vécu. Marta vit au rythme du cirque Callari depuis que Melo, le dresseur de chevaux, l’a recueillie. Sa vie à elle bascule également quand des membres du Comité de la jeunesse pour la libération de Rome déboulent en plein spectacle et distribuent des tracts patriotiques.
« ‘’Si vous êtes vraiment orpheline, vous savez combien c’est précieux, un couteau, dans un institut.’’
La comtesse hocha la tête, rien de plus. Les mots auraient été vains. Même les poètes ont rapetissé l’amitié et l’amour, quand ils ont voulu en parler. »
Pietro et Marta se rencontreront à Rome. La ville que la comtesse a fuie « parce qu’il faut toujours s’en méfier » selon ses propres mots. La ville pour laquelle Melo s’est battue en 1849, lors de l’établissement de la République romaine. Les patriotes veulent en faire la capitale du nouveau royaume d’Italie. Le pape et les ecclésiastiques veulent maintenir leurs Etats pontificaux. Et pendant ce temps, les Romains souffrent au quotidien de leurs soucis habituels, de la pauvreté, des inégalités, des caprices du Tibre. De cette ville impitoyable pourtant éternelle. Belle et laide à la fois.
« Moins d’une heure plus tard, ils parcouraient les rues de Rome. Marta observait tout bouche bée, tant cette ville la surprenait. Pas uniquement par sa beauté. Mais par l’excès qu’il y avait en toute chose. On voyait une quantité invraisemblable d’ordures dans les rues, que nul ne nettoyait. Et l’atmosphère vibrait en permanence des volées de cloches de mille églises. Il y en avait tellement qu’elles assourdissaient la ville entière et que les gens, pour s’entendre, devaient glisser leurs mots entre un carillon et un autre. Et puis il y avait les chats. Des chats partout. Encore plus nombreux que les prêtres. Paresseusement roulés en boule dans le moindre rayon de soleil. Les oreilles entaillées à la suite de leurs nombreuses batailles amoureuses. Les canines longues et acérées afin de pouvoir lutter à pied d’égalité contre les énormes rats, presque aussi gros qu’eux, dont on voyait traîner les queues nues répugnantes, tels des serpents sans écailles. Elle n’avait jamais vu de ville à la fois aussi belle et aussi laide. »
Pour moi qui ai vécu un an dans cette ville merveilleuse, c’était d’autant plus fort de lire ces pages cruciales de l’histoire italienne. De me figurer les rues d’antan, du Colisée à la piazza Navona, du Castel Sant’Angelo à la Basilique Saint-Pierre. Je n’habitais pas très loin de la Porta Pia, que je franchissais très souvent, sans penser aux batailles menées à l’époque de l’unification italienne.
Rome est un personnage à part entière du roman, aussi inoubliable que Pietro, Marta, la comtesse, Melo et tous les autres. Luca Di Fulvio a su m’embarquer complètement, comme avec son inoubliable Gang des rêves. Il possède le souffle romanesque d’Alexandre Dumas et le don d’écrire une fresque sociale à la Victor Hugo. La filiation, l’amour, la soif de liberté et de justice, le combat pour l’art, tout cela est traité avec une palette de couleurs.
« ‘’Tu sais ce que c’est, les acrobates ? Des êtres qui, dans une vie antérieure, avaient des ailes. »
Ce fut alors, à travers le regard de Melo, que Marta comprit ce qu’elle n’avait encore jamais compris sur le cirque. Les acrobates étaient autrefois des anges. Françoise, un serpent. Le cracheur de feu, un dragon. Et chacun portait la nostalgie de sa vie passée.
‘’C’est comme ça que tu as vu le cirque, la première fois ?’’ demanda Marta.
Melo sourit, plissant son visage ridé, et une expression enfantine apparut dans son vieux regard. ‘’Je n’ai jamais cessé de le voir ainsi’’, répondit-il. »
Je referme les pages avec bonheur et nostalgie à la fois. C’est une histoire inoubliable, peuplée de personnages qui resteront longtemps avec moi. Grazie, Luca Di Fulvio. Ce voyage dans le temps, a Roma, m’a émue.

Laisser un commentaire