Coup de cœur de la rentrée littéraire.

Nous sommes en 1950. Iris est la quatrième d’une famille de cinq filles. Aster, Rosalind, Calla, Daphne, Iris et Hazel. Toutes portent un nom de fleur, héritage du passé de leur mère, Belinda. Héritage qui s’avère être une malédiction. Car, comme le chantent les paroles d’une comptine de l’époque, « Les sœurs Chapel, d’abord elles sont mariées, puis elles sont enterrées ». Dans leur manoir aux airs gothiques, chaque nouvel arrivant masculin détruit davantage leurs vies. Belinda, leur mère, les met en garde. Vêtue d’une longue robe blanche, aussi pâle que les fantômes qu’elle croise la nuit, elle tente de les sauver, mais il n’y a qu’Iris qui la croit. Il n’y a qu’Iris pour ne pas la condamner à la folie.

« J’aurais pu vivre dans une grotte et m’épargner le traumatisme qui m’attendait. Mais c’est facile de juger après coup, comme on dit, et qui aurait pu imaginer ce qui allait effectivement se produire. Pas même Edgar Allan Poe, d’après moi. »

Il y a du mystère, un mystère qui nous tient en haleine tout en prenant son temps (ce que j’ai personnellement adoré), à la lisière du fantastique, à la Edgar Allan Poe. Il y a de la poésie, avec l’omniprésence des fleurs, leurs odeurs et leurs couleurs. Il y a de la fémininité, une féminité refoulée, une féminité refusée, une fémininité érotisée, une féminité multiple.

« Il m’a fallu du temps et des efforts pour me métamorphoser en ce que je suis maintenant, ce « fantôme », cette recluse connue dans le monde entier » – des codes, je le sais, pour dire « bizarre ». Ma réclusion, cette chose que je n’ai jamais voulue, est devenue un aspect clé de ma biographie. On suppose depuis longtemps que refuser d’être interviewée, me dérober au regard du public, être représentée seulement par mon art est une sorte de manifeste féministe. Les femmes sont élevées pour être conciliantes, alors j’imagine que le simple fait, pour une femme, de tracer une frontière claire que les autres ne peuvent franchir la rend remarquable. »

Mais il y a aussi énormément de parts d’ombre. La fortune des Chapel s’est faite sur le sang des victimes des armes à feu vendues aux quatre coins du monde. Ce sont les esprits de ces morts qui hantent Belinda (l’autrice s’est d’ailleurs inspirée de la légende de Sarah Winchester). La condition des femmes est constamment questionnée, tout comme leur asservissement attendu envers les hommes. La masculinité regorge de noirceur. Finalement, cette histoire questionne avec réussite le traumatisme transgénérationnel.

« Notre maison avait effectivement été payée par la mort, on ne pouvait le nier. Mon père l’avait héritée du sien, dont le propre père l’avait fait construire dans les années 1870 grâce aux bénéfices engrangés pendant la guerre de Sécession. C’est ainsi que notre famille gagnait de l’argent, après tout : guerre, meurtre, suicide, massacre d’animaux. Aussi macabre que ce fût, la carabine Chapel était néanmoins une précieuse icône américaine et mon père possédait des photographies de lui en compagnie du général John J. Pershing et du président Franklin D. Roosevelt. »

J’avoue avoir été subjuguée par ce roman unique, atypique. Il m’aura marquée, et pour longtemps. Je suis étrangement triste de fermer cet ouvrage et de quitter Iris Chapel / Suzanne Wren. Son honnêteté, retranscrite dans son journal, dans ses carnets violets et ses carnets bleus, m’a touchée. J’ai été complètement happée par son histoire et par sa manière de la raconter. Et quelle histoire…

Je vous laisse : j’ai une furieuse envie de peindre des asters et des iris, de laisser les couleurs et les pétales exprimer ma propre fémininité. En m’inspirant, moi aussi, de l’artiste Georgia O’Keeffe.

« Mais je crois que j’ai fini par comprendre que c’est mon destin d’être une de ces folles. Une de ces femmes qui disent la vérité, aussi terrifiante soit-elle. Une de ces femmes qui se tiennent à l’écart de la foule, se concentrant non pas sur les visages en colère et désapprobateurs, mais au-dessus d’eux, sur le ciel d’un bleu jacinthe éclatant qui ressemble aux fleurs qui poussent dans son jardin. »

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