Le quotidien de Saul ne fait pas rêver. Trentenaire parisien, il est dénigré dans le cabinet d’avocat où il travaille et s’est fraîchement fait larguer par sa copine. Cynique et pessimiste, il donne le ton dès sa première phrase prononcée dans le roman : « Je n’ai pas toujours été un enculé : j’ai d’abord été un lâche ». Son ami d’enfance, un certain Martim Von Manstein, débarque à Paris à un moment charnière et réussit à le convaincre de changer ses plans de vacances. Direction le Nordeste brésilien.
« Je suis un de ces gars torturés, épuisants mais irréprochables, probablement touchants mais sans réel ami, pas méchants mais pas simples : de ceux qui pèsent de tout leur poids sur leurs proches, s’ils en ont. De ceux qu’on invite peu : un gars parfait pour refaire le monde, mais parfaitement détestable si le monde vous convient ».
À Libânia, au rythme de l’océan, de la chaleur tropicale, des couleurs criardes et des corps qui s’exposent, Saul fait sa mue, tel un serpent. Mais s’il change de peau (se musclant au gré des vagues, bombant le torse et relevant le menton), peut-il vraiment changer de l’intérieur ?
Saul est condescendant, et sa vision de la gent féminine est constamment sexualisée. Si l’objectif de l’auteur était de me le rendre méprisable, c’est réussi. Mais il a quand même parfois réussi à me toucher un peu, dans sa quête identitaire.
La métaphore de la maresia, un nuage empli de sel qui vient de l’Atlantique et s’infiltre partout, est le fil conducteur du récit, le fil conducteur de la métamorphose de Saul. Le rythme du roman nous tient en haleine, et on se demande comment tout va pouvoir bien se finir pour notre protagoniste.
« Le vieux m’a rejoint, silencieux.
Et Saul se noierait, s’évaporerait, même.
Me vaporiser au-dessus des vagues en des milliers de gouttes de soleil comme des étincelles de fraîcheur lumineuse, disparaître ici, dans ce nuage flottant, si bas, qui sépare le sable et la mer et n’appartient à personne. L’enfantin vieillard a suivi mon regard.
– Maresia, dit-il d’une voix inédite – profonde et solennelle -, brouillard sur la plage, dans vagues, là, c’est la maresia. C’est ça, Brésil : fait rêver, mais dangereux. Attention, peut ronger ton âme…
– Il y a la place pour tous mes rêves dans ce nuage onctueux et brillant.
Il rit.
– Ça ne veut rien dire, ça, cara !
Je m’en fous, ça veut dire quelque chose, ça veut tout dire pour moi. Mon regard indécis, posé sur le néant, déambule. Ma tête est vide, et le flot de mes pensées s’adoucit.
– Je ne veux pas rentrer, dis-je en français.
– Oi?
– Não quero voltar pra França…
– Eh… peux rester ici, murmure le vieux Damasio. Ça ne dure qu’un instant mais c’est un moment important, il y a des minutes qui valent plus que certaines années. »

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