Je savais, après ma lecture et découverte de Jean Hegland avec Dans la forêt, que je ne serais pas déçue. Mais je n’étais pas prête à vivre un tel moment de lecture. Ce nouveau roman de l’autrice américaine est un joyau précieux, et je le chérirai longtemps.
Nous y suivons John Wilson, un ancien professeur de littérature touché par la maladie d’Alzheimer. Spécialiste de Shakespeare, il cherche dans ses souvenirs les traces du dramaturge anglais, s’accrochant aux répliques pour ne pas perdre pied. John n’est pas parfait. Il a commis des erreurs dans sa vie, et il tente, quand sa mémoire le lui autorise, de revenir dessus, de rembobiner. Surtout lorsqu’il s’agit de sa fille unique, Miranda, avec qui il s’est brouillé il y a de cela des années.
Ce roman m’a profondément touchée pour énormément de raisons, et je ne pourrai pas toutes les énoncer. Il y a le lien entre le père et la fille, tous deux perdus à des stades différents de leurs vies, tous deux face aux regrets provoqués par leur relation difficile. Il y a la maladie de John, cette fichue et mystérieuse maladie d’Alzheimer, son état cotonneux qui s’aggrave, et mes pensées qui se tournaient inlassablement vers ma grand-mère, vers sa chambre blanche à l’Ehpad et les mots insensés qu’elle répète à longueur de journée, vers les contacts visuels que je cherche à chacune de mes visites. Il y a la place de la littérature, enfin, cet héritage de l’humanité, cet héritage familial, où les mots nous aident à donner du sens à la vie et à la mort, où les mots sont nos bouées, nous raccrochant à la réalité et à autrui.
« Comme Shakespeare nous le rappelle sans cesse, nous allons tous mourir. C’est ce qui se passe pendant que nous vivons qui doit compter – ce que nous apprenons, ce que nous savons, ce que nous finissons par comprendre avant de disparaître. »
Je connais très mal Shakespeare. Le découvrir de cette manière m’a transportée davantage. J’aime par-dessus tout ces livres qui nous parlent d’autres livres, qui nous rappellent et nous montrent combien nos vies seraient ternes et déconnectées sans eux.
« Tu t’en souviens ? lui dit sans arrêt Sally. Tu ne t’en souviens pas ? »
Et même s’il y a de la douceur dans son insistance, il commence presque à lui en vouloir d’insinuer que se souvenir est une décision qu’il pourrait prendre consciemment, qu’en oubliant il se montre volontairement léger ou négligent.
Souviens-toi où tu as laissé ton portefeuille. Souviens-toi où tu as posé les clés de la voiture. Souviens-toi du relevé de compte. Souviens-toi de ce qu’on a fait ce week-end, de l’endroit où l’on va dîner ce soir. N’oublie pas de fermer la porte, de remettre la glace au congélateur, d’éteindre la cuisinière. Rappelle-toi cette fois en Sicile, et ce qu’on a fait à Rome, et où tu as laissé ta veste, tes chaussures, ton carnet d’adresses. Tant de rappelle-toi et de souviens-toi, qui claquent comme une pluie de grêlons et lui meurtrissent la tête. Rappelez-vous votre vie effrontée
Rappelez-vous l’époque où vous ne deviez pas au temps plus d’années que moi aujourd’hui Peux-tu te souvenir d’un temps, avant que nous arrivions dans cette cellule de grâce, mon amour ; souvenez-vous.«

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