Le meilleur Goncourt que j’ai lu, mais on s’en fiche du prix littéraire, lisez ce livre. C’est un bijou.

Diégane Latyr Faye vit à Paris et ambitionne de devenir écrivain. Quand il lit Le Labyrinthe de l’inhumain, un roman paru en 1938 et écrit par un auteur sénégalais dénommé T.C. Elimane, sa vie bascule. Il a besoin de retrouver la trace de ce compatriote, qualifié à l’époque de « Rimbaud nègre ».

Diégane ne peut se résoudre : il lui faut comprendre ce qui est arrivé à Elimane après la publication de son chef-d’œuvre. On mène donc l’enquête littéraire à ses côtés. Et cette enquête est magnifiquement écrite ! C’est tellement original d’une partie à l’autre, d’un récit rapporté à un autre, d’un personnage à l’autre. Les éléments s’imbriquent puis se défont, et Elimane continue de nous échapper au fil des pages. La résolution du mystère et la fin de l’ouvrage sont à l’image de tout le livre : brillants (oui, j’assume, je suis conquise, alors je ne vais pas m’en cacher).

« Je devins un doctorant fainéant, bientôt détourné de la noble voie académique par ce qui n’était plus une tentation passagère mais un désir aussi prétentieux que certain : devenir romancier. On m’avertissait : peut-être ne réussiras-tu jamais en littérature ; peut-être finiras-tu aigri ! déçu ! marginalisé ! raté ! Oui, possible, disais-je. L’increvable « on » insistait : tu pourrais finir suicidé ! Oui, peut-être ; mais la vie, rajoutais-je, n’est rien d’autre que le trait d’union du mot peut-être. Je tente de marcher sur ce mince tiret. Tant pis s’il cède sous mon poids : je verrai alors ce qui vit ou est crevé en dessous. Et puis je suggérais à «on » d’aller se faire mettre. Je lui disais : en littérature on ne réussit jamais, alors prends le train de la réussite et plante-le-toi où tu pourras. »

L’enquête s’accompagne de tant de questionnements passionnants. Sur l’identité, la décolonisation, les liens entre l’Afrique et l’Occident, le racisme. Un écrivain comme Diégane ou comme Elimane est-il condamné à errer entre deux cultures, entre deux littératures, entre deux continents non réconciliables ? L’un doit-il forcément dominer l’autre ? Les ponts sont-ils possibles ? Quand je lis ce texte, je rêve de ces ponts, de ces liens qui abattront toute supériorité, qui redistribueront les cartes, mais sans oublier le passé ; le passé est là, il a ses influences sur le présent, et on ne doit pas l’occulter.

« Comment l’expliquer ? Par une défaillance personnelle inscrite dans leurs gènes ? Par la puissance de séduction de la civilisation blanche ? Par la lâcheté ? Par la haine de soi ? Je ne sais pas. Et mon ignorance est précisément le cœur du drame. Les Blancs sont arrivés, et certains de nos plus valeureux fils sont devenus fous. Fous à lier. Fous d’amour pour eux, leurs maîtres. Assane et Elimane font partie de ces fous. Ils ont laissé Mossane, et elle a commencé à devenir folle à son tour. »

Avec ce roman, on interroge aussi les bibliothèques de nos vies. La littérature peut-elle impacter nos destinées ? Je le crois, et c’est pour cela que ce roman m’a tant touchée. Tous les personnages sont impactés par la littérature, à commencer par Diégane et Elimane. Mais est-ce toujours une bonne chose ? La littérature peut-elle nous blesser mortellement ? Nous empêcher de vivre ? Nous abîmer ? Ou est-ce ce que les hommes en font qui nous abîme ?

« Tu voudrais n’écrire qu’un livre. Tu sais au fond de toi qu’il n’y en a qu’un seul qui compte : celui qui engendre tous les autres ou que ceux-ci annoncent. Tu voudrais écrire le biblicide, l’œuvre qui tuerait toutes les autres, effaçant celles qui l’ont précédée, et dissuadant celles qui seraient tentées de naître à sa suite, de céder à cette folie. En un geste, abolir et unifier la bibliothèque. »

C’est de loin le meilleur Goncourt que j’ai lus, et en fait on s’en fiche du prix littéraire, juste lisez ce bijou. Il est unique.

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