Un roman qui questionne les droits civiques et les droits des femmes.

« Il n’y a pas de droit plus fondamental pour une femme que d’avoir le choix. Et j’ai exercé ce droit. Pleinement et en conscience. »

Le roman commence en 2016, lorsque la protagoniste Civil Townsend décide de raconter à sa fille adoptive un événement qui a changé sa vie il y a quarante ans de cela, en 1973, à Montgomery, une ville de l’Alabama où elle a grandi.

À l’époque, Civil a vingt-quatre ans et vit avec ses parents. Fraîchement diplômée de l’école d’infirmière, elle trouve un emploi au Planning familial de la ville. Parmi ses patientes, deux adolescentes, Erica et India Williams, âgées de treize et onze ans, chez qui elle doit se rendre pour leur injecter un contraceptif. En rencontrant la famille Williams, Civil découvre combien elle a été épargnée dans sa communauté et que les Afro-Américains ne vivent pas tous dans les mêmes conditions. C’est un choc pour elle, mais rien par rapport à l’autre découverte qu’elle fera plus tard : la stérilisation forcée de femmes pauvres ou « inaptes », parmi lesquelles figureront Erica et India…

C’est un roman nécessaire et engagé. Il questionne la responsabilité de l’État et les abus de confiance commis sur des populations incapables de se défendre. Quand je lisais, je me demandais ; combien de Noires pauvres ont été stérilisées ? À quel point la communauté afro-américaine a-t-elle pâti de cette politique abjecte ? À une époque où les droits civiques étaient tout juste en vigueur, dans l’un des États du Sud les plus racistes, comment se défendre ?

« Je sais ce que tu penses : c’est encore une histoire de sauveur blanc. Le Blanc tombe du ciel, sauve tous les Noirs et ce faisant se rachète. En passant par nous, ils sauvent leurs âmes quand nous sommes incapables de sauver nos propres âmes. J’ai grandi en lisant Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur. Je connais l’histoire. Et je ne blâme pas ton scepticisme. En l’occurrence, j’essaie simplement de te dire la vérité. Si tu as l’impression d’avoir trop entendu ce genre d’histoire, pardonne-moi.

Ce que je peux te dire c’est ça : nous sommes au cœur de notre destinée. Nous l’avons toujours été. Oui, à certaines époques notre pays a tenté de nous détruire. Mais nous ne sommes pas laissés faire. Non, madame. Nous avons lutté et utilisé toutes nos ressources. Lou Feldman était une ressource. Et j’en suis venue à l’apprécier. »

Ce roman, avec cette année charnière de 1973, date de l’arrêt Roe v. Wade, met aussi en perspective la violence et les éternels paradoxes des États-Unis. On interdit aux femmes d’avorter mais on autorise l’État à les stériliser. On empêche de « tuer » un fœtus mais on « tue » les bébés à venir… Qu’on ne mêle plus Dieu à tout ça. Une telle politique de stérilisation est tout bonnement inhumaine.

« – L’avortement et la stérilisation sont les deux faces d’une même pièce, à mon avis. D’un côté, ils restreignent notre accès à l’avortement. De l’autre, ils nous ligaturent les trompes. Ils coincent les femmes dans une situation impossible, Lou. Même avec la décision de la Cour suprême, un avortement reste difficile d’accès pour une femme pauvre.

– On est en Alabama, Civil. Je ne suis pas certain qu’on veuille aborder la question de l’avortement. Pas sûr qu’on veuille nager dans ces eaux-là.

J’ai essayé de déglutir mais j’avais la bouche sèche.

– Mais c’est pertinent pourtant. Si on arrive à faire le lien entre le fait de tuer des bébés pas encore nés et des bébés pas encore conçus, on attirera peut-être l’attention du juge.

– C’est trop risqué. »

Je me suis énormément attachée à Civil, à sa combativité, à sa culpabilité, à ses imperfections et son humanité. Elle se cherche en aidant les autres. Devrait-elle suivre une carrière de médecin, comme son père ? Comment vivre avec le poids de son avortement passé ? Comment aider sa communauté ? Dolen Perkins-Valdez fait graviter autour de Civil une palette de personnages qui m’ont tous beaucoup émue. Ses parents, les infirmières, la famille Williams, Lou l’avocat, et j’en passe.

Mon seul bémol vient de la traduction. Il y a un nombre inquiétant de coquilles, ce que je regrette, car ce roman est excellent !