Les déchirements des peuples à travers le destin de quatre femmes.

Difficile de rester de marbre face au talent et à l’intelligence de Joumana Haddad. La parole aux femmes, car ici, il ne s’agit pas du Livre des rois mais bien de celui des reines.

Être reine, c’est souffrir. Du génocide arménien. Du conflit israélo-palestinien. Des guerres civiles libanaise puis syrienne. Du terrorisme de Daech.

Être reine, c’est rassembler des gènes voués à perpétuer les déchirements. Communautés, confessions, patries, ethnies, orientations sexuelles… Le sang fratricide continuera de couler.

« Comment pouvons-nous évoluer, pour n’être plus seulement des humains, mais des êtres d’humanité ? ».

Être reine, c’est encaisser. Subir la vie avec plus ou moins de résilience, et espérer ménager ses filles, ses princesses condamnées à, un jour, devenir reines à leur tour.

Reine de Carreau (« celle qui ne cesse de revenir », guidée par l’Esprit), Reine de Cœur (« celle dont les yeux réveillent le tonnerre », guidée par l’Emotion), Reine de Pique (« celle dont les bras ont mené un million de batailles », guidée par la Volonté), Reine de Trèfle (« celle qui a conquis la fin et ses commencements », guidée par le Souvenir). On aura beau rebattre les cartes, rien ne va plus, les jeux sont faits.

Le roman refermé, je continue de souffrir avec ces quatre personnages, ces quatre reines, Qayah, Qana, Qadar et Qamar. Traiter l’Histoire de manière fictionnelle permet de rappeler que les victimes ne sont pas que des statistiques, car comme l’écrit à la perfection l’auteure à la fin de son ouvrage : « les expériences et les émotions humaines sont et seront toujours plus significatives que les événements qui les ont déclenchées. Les cicatrices l’emportent sur les couteaux, elles leur survivent. »

« C’est la mère de Bassem, assurément, qui avait demandé au pauvre homme de Dieu de supprimer le « ian » de son nom de famille, et de remplacer son prénom, Qayah, par celui, arabe, de Qamar. Dire que cette bigote de Fadwa n’aimait pas que l’épouse de son fils ne soit ni arabe, ni melkite, serait un euphémisme. Mais Qayah était fière de son héritage arménien, et de toute la gravité qu’il avait imposée dans son âme. Elle était Qayah Sarrafian, fille des martyrs Marine et Nazar, fille adoptive des défunts Vartouhi et Grigor. Dans ses veines coulait le sang épais de l’insoumission, de même qu’une liqueur addictive nommée douleur. »

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