Dans les années 1960, Elwood Curtis est au lycée et vit seul avec sa grand-mère Harriet à Tallahassee en Floride depuis que ses parents sont partis. Traumatisée d’avoir perdu tant de proches à cause des Blancs et de la ségrégation raciale, Harriet est stricte avec son petit-fils, que ce soit au sujet de ses fréquentations ou de ses choix. Elwood est calme et bosseur. Il rêve de faire des études. Autour de lui, il sent le vent nouveau, ce vent qui inquiète tant Harriet ; la lutte pour les droits civiques fait des remous. Au fond d’Elwood, derrière sa timidité et son tempérament tranquille, brûlent une colère contre l’injustice et une soif d’apprendre.
D’une injustice, il en est justement victime, et il se retrouve à la Nickel Academy, une maison de correction pour mineurs. La discipline y est implacable, les surveillants plus que zélés, et surtout, des punitions barbares sont infligées aux pensionnaires, au point que certains disparaissent et finissent dans le cimetière attenant sans aucune enquête…
« Le jour de la rentrée, les élèves de Lincoln High School recevaient leurs nouveaux manuels d’occasion récupérés auprès du lycée blanc de l’autre côté de la rue. Sachant où partaient leurs livres, les élèves blancs les avaient annotés à l’intention de leurs successeurs : Va te pendre, le nègre ! Tu pues. Va chier. Le mois de septembre était une découverte des épithètes en vogue chez la jeunesse blanche de Tallahassee, épithètes qui, à l’instar de la longueur des ourlets et des coupes de cheveux, variaient d’une année sur l’autre. Quelle humiliation d’ouvrir un manuel de biologie à la page du système digestif et de tomber sur un Crève sale NÈGRE, mais au fil de l’année scolaire, les élèves cessaient progressivement de prêter attention aux diverses insultes et suggestions déplacées. Comment tenir jusqu’au soir si chaque ignominie vous envoyait au fond du trou ? Il fallait apprendre à ne pas se laisser distraire. »
S’inspirant de faits réels et de vrais témoignages, Colson Whitehead nous offre un roman édifiant et nécessaire sur la fracture raciale en Amérique. Blancs et Noirs sont maltraités à Nickel, mais être noir implique des châtiments particuliers, et ce depuis la naissance… Le livre est révoltant, tout comme l’était Underground Railroad, et avec Elwood, en écoutant le discours de Martin Luther King Jr, on se demande : comment aimer ceux qui nous détruisent ? « À votre force physique, nous opposerons celle de notre âme. Faites-nous ce qui vous plaît, et nous continuerons à vous aimer », clamait le révérend.
Colson Whitehead écrit aussi tellement bien sur ces jeunes hommes dont l’avenir a été volé dès la naissance. Pour qui la violence est une trajectoire depuis le berceau, pour qui la vie n’a fait aucun cadeau, et pour qui l’humanisme semble être refusé. La Nickel Academy continue de hanter ceux qui y survivent. Finalement, y survivent-ils vraiment ? Certaines blessures ne peuvent pas être refermées.
« Si la vie en avait décidé autrement. Les garçons auraient pu devenir tant de choses si cette école ne les avait pas anéantis. Des médecins qui trouvent des remèdes ou opèrent des tumeurs au cerveau, inventent ce qui sauve des vies. Des candidats à la présidentielle. Tous ces génies gâchés. Naturellement, tous n’étaient pas des génies – Chickie Pete par exemple n’avait pas découvert la relativité restreinte -, mais ils avaient été privés du simple plaisir d’être ordinaires. Entravés et handicapés avant même le départ de la course, ils n’avaient jamais réussi à être normaux. »
Un roman qui prend aux tripes. Un roman qu’il faut lire. Pour se souvenir des victimes et penser la violence des sociétés occidentales. Le personnage d’Elwood m’a profondément marquée et me suivra longtemps.
Distinction : Prix Pulitzer de la fiction.

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