Vicente vit à Buenos Aires depuis les années 1930. Loin de l’Europe et des horreurs de la Seconde Guerre mondiale. Loin de sa famille. Mais cet exil, qui l’avait aidé à se construire, le détruit progressivement. La culpabilité le ronge à petit feu. Car Vicente reçoit de moins en moins de nouvelles de sa mère, restée en Pologne. Face au silence, il cherche à s’informer, mais les bribes d’informations qui lui parviennent sont terrifiantes. Le ghetto de Varsovie. Le sort réservé aux Juifs d’Europe. Les funestes victoires des nazis.
« L’une des choses les plus terribles de l’antisémitisme est de ne pas permettre à certains hommes et à certaines femmes de cesser de se penser comme juifs, c’est de les confiner dans cette identité au-delà de leur volonté – c’est de décider, définitivement, qui ils sont. Vicente ne sentait pas qu’on lui avait donné quelque chose, qu’on avait ouvert son esprit, qu’on l’avait éclairé sur ce qu’il était ou sur qui il était. Il ne se disait pas : Ah, au moins maintenant, je sais que je suis juif ! Vicente, comme beaucoup de Juifs, commençait simplement de comprendre que l’antisémitisme a besoin de Sémites pour exister, il commençait de se rendre compte que si un antisémite se définit en l’étant, il ne peut pas tolérer qu’un Sémite ne se définisse pas lui-même parce qu’il l’est. »
À travers l’histoire de Vicente, ce roman est aussi une histoire de mots ; de mots tus, de non-dits, de non-sens. Il questionne le vide, l’absence, la solitude, mais aussi le poids des choix à assumer, et évidemment, les regrets. C’est un roman qui questionne la Shoah et la mémoire d’une manière unique.
« Les nazis ne tuaient pas les Juifs parce qu’ils étaient polonais, vieux, inutiles, blonds, mariés, célibataires, boiteux ou parce qu’ils avaient mauvaise haleine : ils les tuaient parce qu’ils étaient juifs. En 1941, être juif était devenu, grâce à ceux qui cherchaient à les exterminer, la condition fondamentale de millions de personnes qui, comme Vicente, n’avaient jamais accordé une grande importance à cette caractérisation, à cette appartenance mi-religieuse, mi-ethnique, et trois quarts n’importe quoi. En 1941, être juif était devenu une définition de soi qui excluait toutes les autres, une identité unique : celle qui déterminait des millions d’êtres humains – et qui devait, également, les terminer. »
Le titre résume à merveille le roman, mais aussi un état d’âme, état dans lequel s’enfonce le protagoniste. Vicente étouffe. Seul. Il n’arrive pas à ouvrir la porte parce qu’il n’y en a pas. Et sans porte, comment faire entrer son épouse Rosita, ses enfants, son ami Ariel ?
« Jamais Vicente ne voudrait partager sa peine pour la soulager, jamais il ne voudrait que sa famille vive dans la cruauté inutile de la mémoire. »
Qu’y-a-t-il de pire que l’impuissance ? Que l’incapacité à obtenir la vérité alors qu’on en sait déjà trop pour oublier ? Ce livre est d’une profonde tristesse, mais surtout d’une puissante nécessité.

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