Henry Quinn est un jeune homme d’une vingtaine d’années qui vient de purger sa peine de trois ans à la prison de Reeves. À sa sortie, il ne retourne pas à une « vie normale », car il a fait une promesse à son codétenu : remettre une lettre à la fille de ce dernier. Evan Riggs, le codétenu en question, est enfermé à perpétuité pour meurtre. Il a sauvé la vie de Henry Quinn, qui se sent redevable. Pour honorer sa promesse, Henry débarque à Calvary, une bourgade du West Texas où tout le monde se connaît et où tout se sait. Dès son arrivée, il comprend que les lieux baignent dans des eaux troubles. Sa mission se complique rapidement, et surtout, il rencontre en Carson Riggs, le shérif de Calvary et frère aîné d’Evan, un mur de secrets décidé à lui barrer la route.
« On était en juillet 1972, et Henry Quinn venait de purger exactement trois ans, trois semaines et quatre jours – sans compter une poignée d’heures qui, au vu du reste, relevait du détail négligeable. Sauf lors de sa dernière nuit. Cette nuit-là, le matelas sembla plus dur que jamais, la cellule plus propice à la claustrophobie, et les bruits des hommes enfermés plus terrifiants que tout ce qu’il avait pu connaître depuis son arrivée. Sur la couchette du haut, Evan Riggs, lui, dormit comme un loir. Il avait déjà purgé plus de vingt ans. Si quelque chose venait encore parfois troubler le sommeil de son codétenu, Henry Quinn aurait été bien en peine d’en révéler la nature.
Quinn était conscient du fait que l’ado qu’il avait été – celui qui avait traîné les pieds, chevilles entravées, le long de la passerelle pour intégrer sa nouvelle demeure, sans rien d’autre qu’un short, un crâne rasé et une honte violente, cuisante – était à présent si éloigné de l’homme qu’il était devenu que… eh bien, c’était un peu comme si on lui avait volé son âme pour la remplacer par une autre. Il avait purgé sa peine, avait écouté, peut-être appris. Il avait été roué de coups, démoli, abîmé, presque brisé, mais s’était débrouillé pour survivre. Sa survie, il la devait en grande partie à Evan Riggs, à qui il serait éternellement redevable. S’il devait jamais l’oublier un jour, il n’aurait qu’à regarder dans la glace la cicatrice qui lui barrait la poitrine depuis l’aisselle droite jusqu’en bas des côtes à gauche. Cette nuit-là avait été terrible, et, seul, il n’aurait jamais survécu. »
L’originalité de l’histoire m’a immédiatement embarquée, mais c’est aussi la construction du roman que je trouve très réussie. R. J. Ellory alterne les époques. Un coup, on mène l’enquête avec Henry Quinn. Chaque nœud qui semble se dénouer dévoile en vérité de nouveaux mystères. Les silences compliquent la tâche ; il semblerait qu’Henry ne s’apprête pas uniquement à remettre une lettre, mais surtout à exhumer des démons enfouis dans le passé de Calvary. La scène suivante, on remonte dans le temps pour découvrir la vie des deux frères. Les narrations finissent par se rejoindre, et tous les secrets nous sont révélés.
Le décor est sombre. L’atmosphère est parfaitement dépeinte : un Texas rude, où le bourbon réchauffe les cœurs de beaucoup trop de malheureux et de malheureuses. Le tout sur un fond de country, obviously.
« Le Texas semblait n’avoir rien d’autre à offrir que la dépression agricole, des revendications totalement surréalistes, un paysage sculpté par le vent et une interminable caravane de roues de chariots et de sabots de cheval. »
« ‘Un de ces endroits que Dieu a oubliés, ou a carrément jugés irrécupérables’, voilà comment le définissait le père d’Evan, William, ce qui ne l’avait pas empêché de commencer à cultiver quelque cent cinquante hectares de céréales, suffisamment têtu pour enfoncer ses éperons le plus loin possible dans les flancs du West Texas. »
J’ai particulièrement aimé deux choses. La première, c’est le parallèle entre les deux hommes qui ont partagé une même cellule pendant trois ans : Henry Quinn et Evan Riggs. Amoureux de country, musiciens et guitaristes, ils se sont tous les deux retrouvés au pénitencier de Reeves dans des circonstances alcoolisées douteuses. Mais sont-ils vraiment les mêmes ? Henry Quinn, certes paumé comme son codétenu le fut à son âge, va-t-il au-devant d’un destin aussi terrible qu’Evan Riggs ?
Le deuxième élément que j’ai beaucoup apprécié, c’est de voir comment l’auteur dévoile l’évolution des liens fraternels, questionnant le rôle des parents, notamment l’éducation et l’amour de ces derniers. Qu’est-ce qui est inné, chez un enfant, et qu’est-ce qui est acquis ? Comment en arrive-t-on, dans une même famille, à obtenir deux fils aussi radicalement opposés ? Et comment gérer les jalousies fraternelles ? Leurs parents auraient-ils pu prévenir les drames à venir en agissant autrement ?
C’est donc une excellente lecture à suspens que j’achève, et je la recommande vivement (pourquoi pas cet hiver, à lire au chaud sous une couverture).
« Evan ferma les yeux, comme il n’était que trop enclin à le faire. C’était là sans doute son plus grand péché. Le dernier à reconnaître sa couardise est le couard lui-même.
On a souvent dit que le mal n’a pas besoin d’autre terreau pour prospérer que le silence et l’inaction des gens de bien.
Carson n’était pas à proprement parler mauvais – tant s’en fallait -, mais il était buté, et trop prompt à agir dans son intérêt plutôt que dans celui des autres. Était-ce maintenant au tour d’Evan de prêter à Carson ses propres défauts ? Peut-être. Après tout, ils étaient frères. »

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